[Expo] Modigliani, une fraîcheur intacte cent ans après
On a vu par le passé des expositions sur des hommes de premier plan dans le marché de l’art : Paul Durand-Ruel, Ambroise Vollard, Paul Rosenberg… C’est au tour de Paul Guillaume d’être mis en lumière. Il fut l’un des artisans de la remarquable collection du Dr Barnes mais, au musée de l’Orangerie, c’est en tant que marchand de Modigliani qu’il est présenté. Les toiles sont toutes du peintre italien (1884-1920), en nombre limité mais en lien avec son marchand.
Jusqu’en 1914, Modigliani a eu comme mécène et quasiment comme seul acquéreur le médecin Paul Alexandre. Mais celui-ci part à la guerre. C’est alors que Modigliani fait la connaissance de Paul Guillaume, jeune marchand et ami d'Apollinaire, par l’entremise de Max Jacob. Max Jacob ! L’auteur d’ouvrages aussi curieux que Le Terrain Bouchaballe ou Filibuth et la montre en or… ou encore du recueil de poèmes Le Cornet à dés.
Une pensée pour Max Jacob
Le portrait qu’a fait Modigliani (1916) de son ami Max Jacob est superbe. Le poète lui-même le commenta en deux vers autobiographiques : « Il a l’air à la fois du juge et du forçat/Tel vers ce double but le peintre s’efforça. » Le peintre a bien cerné la personnalité ambiguë du poète. Cet homosexuel, juif converti au catholicisme, mourra à Drancy en 1944 sans que son ami Picasso n’ait tenté d’intervenir auprès des Allemands. (Les féministes ont récemment découvert que Picasso, le milliardaire communiste, était misogyne ; on ne les avait pas attendues pour savoir qu’il n’aimait guère que lui-même et méprisait le reste du monde.)
Dans les portraits, on rencontre aussi le peintre Moïse Kisling, la poétesse et amante de Modigliani Béatrice Hastings, Mme Zborowska… Et des anonymes connus par leur prénom : Elvire, Lola ; ou par leur surnom : « la belle Irlandaise », « l’enfant gras » (nos amis wokistes nettoieront bien un jour ou l’autre les titres « offensants »).
Modigliani astigmate ?
Certains ont pensé expliquer la « forme » des Modigliani par l’astigmatisme (comme pour le Greco). C’est une conception très XIXe, scientiste et académique. Le refus du réalisme strict ne saurait s’expliquer que par un trouble oculaire. Une étude mexicaine de 2007 préconisait même - si Modigliani avait vécu à notre époque - de ne pas l’opérer pour préserver sa vision du monde !
Mais alors, de quelle affection souffraient nos sculpteurs romans, si géniaux « déformateurs » ? Et les sculpteurs africains ? Cet art, dont Paul Guillaume était un collectionneur, a nourri toute une génération d’artistes, tous courants confondus - jusqu’au sculpteur et médailleur catholique Fernand Py. Les sculptures de Modigliani témoignent de cette influence, tout comme ses peintures.
Un « Montparnos » d’exception
Le « style » Modigliani, de longs cous qui portent une tête comme une plante sa fleur parfois trop lourde, les yeux souvent vides, las et pourtant expressifs, est plein de poésie. Il n’est jamais si systématique qu’il en a l’air : rien à voir avec les personnages « typés » d’un Botero, identiquement rondouillards. Cette forme est indissociable d’une couleur magnifique, là encore subtile, jouant du pastel comme du saturé.
Produite dans une période particulière, celle du Montparnasse des années 1900, et malgré la drogue et l’alcool auxquels s’adonna sans frein Modigliani, cette peinture s’en échappe et s’en distingue par sa fraîcheur et son intensité, intactes un siècle après.
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6 commentaires
Ca fait du bien un article comme cela. Cela change de l’actualité bien morose. St Benoit sur Loire, Max Jacob ; Appollinaire, Montparnasse, la bohème… , le Dr Alexandre, P. Guillaume , Jeanne bien sûr… ; une oeuvre artistique mystérieuse.
Je n’aime pas beaucoup ;cela vaut surtout par le style et l’originalité ;mais dans l’absolu, ce n’est pas très beau. Voir un portrait de Renoir à côté… Ils ne font pas le même métier.
Je suis plutôt d’accord, ses œuvres ne sont pas très belles.
Jill et Ruth, allez voir une exposition « en vrai » et vous changerez peut-être d’avis devant la subtilité des couleurs et ces formes allongées à la grâce particulière
Merci pour ce rappel.
Comme ça nous change de ces prétendus « artistes » actuels dont les oeuvres n’ont aucune chance de durer , fort heureusement d’ailleurs .