Journée de deuil national en l'honneur de Jacques Chirac. Le ministère de l'Éducation nationale avait « invité » les enseignants à faire respecter une minute de silence à 15 h et à évoquer l'ancien Président. Invité, c'est-à-dire laissé libre. Et, donc, finalement accepté qu'elle ne soit pas faite, dans une sorte de « en même temps » très tendance. C'est assez drôle car ce ministère sait être bien moins ouvert et très directif sur bien d'autres sujets où cette liberté serait pourtant nécessaire. Mais c'est une autre histoire. Et donc bien des enseignants de gauche, qui n'avaient voté pour lui en 2002 qu'en se bouchant le nez, selon leur formule de l'époque, avaient retrouvé leur ardeur d'alors. Chacun ses hauts faits de résistance.

Moi aussi, j'aurais bien des reproches à faire à Jacques Chirac. Pas les mêmes que mes collègues gauchistes, bien sûr. Et pourtant, cette tradition du deuil national et de l'évocation d'un ancien président de la République me semble bonne et indispensable. Surtout à une époque où la nation se délite et où l'inculture des jeunes générations, en particulier sur l'Histoire de France, est considérable. Le président de la République est un symbole. Qu'on ait voté pour lui ou pas, qu'il nous donne des boutons ou pas, c'est le Président. Et quand il part, c'est une partie de l'Histoire de France qui part avec lui, que nous avons à transmettre à nos enfants, à nos élèves.

Avec mes 3e, à 15 h, hier, j'ai joué la démocratie participative jusqu'au bout - sachant la réponse acquise - et je leur ai demandé leur avis : alors, on la fait ou pas, cette minute de silence ? Et ils ont dit oui. Ensuite, ils ont voulu parler de l'ancien Président et cela a été l'occasion de mettre un peu d'ordre dans leur chronologie désordonnée de ces années Chirac qui furent aussi les années Giscard et Mitterrand. Ils ont soudainement réalisé que Chirac était le Président en exercice lors de leur naissance et de leurs premières années ! Et il était déjà bien avancé dans les allées du pouvoir lors des miennes. On peut être sévère sur le bilan de Jacques Chirac, mais quelle carrière, tout de même !

Et puis un petit curieux a posé la bonne question : « Mais il a fait quoi, au fait, Jacques Chirac ? » J'ai retenu deux décisions, consensuelles et fortes : la fin du service national et le refus de la guerre en Irak, en 2003. Il y a un temps pour tout. Et celui de l'hommage n'est pas celui de l'inventaire scrupuleux et accusateur.

En pensant à ces collègues tout fiers d'avoir jeté Chirac dans les oubliettes de leur histoire, j'ai pensé deux choses.

D'abord que c'était le deuxième Président que j'enterrais avec des élèves. En 1996, le message du ministère - c'était Bayrou - avait demandé de lire la lettre-hommage de Chirac, qui lui avait succédé quelques mois auparavant. Mitterrand et la gauche, ce n'était pas ma famille politique, mais tout cela me paraissait aller de soi et, à ma connaissance, aucun enseignant de l'autre bord - oui, oui, il y en a - n'entra en résistance. Et, vingt-cinq ans après, devant le refus de ces enseignants d'assurer cette continuité devant nos élèves, cette symétrie, c'est la célèbre phrase de Marc Bloch qui m'est revenue : « Il est deux catégories de Français qui ne comprendront jamais l'histoire de France, ceux qui refusent de vibrer au souvenir du sacre de Reims ; ceux qui lisent sans émotion le récit de la fête de la Fédération. »

Et puis je me disais aussi qu'il ne faudra pas qu'ils viennent se plaindre, tôt ou tard, sur l'inculture et la détestation de la France de certains jeunes Français et des conséquences, parfois dramatiques, que cela a, d'ores et déjà, entraînées. D'ailleurs, dans un établissement scolaire voisin, un élève, lui aussi né en France sous Jacques Chirac, a répondu à l'une de mes collègues : « Chirac, connais pas. Et de toute façon, je ne suis pas Français. » Cela venait nous rappeler qu'entre deux minutes de silence en l'honneur d'un Président mort, nous avons eu droit, ces dernières années, à des minutes de silence autrement tragiques, en 2015, pour les morts de Charlie et du Bataclan. Et ceci, n'en déplaise à certains, a à voir avec cela.

Voilà pourquoi il fallait évidemment faire ces « minutes Chirac » avec nos élèves.

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01 octobre 2019 à 10:52

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