Et si on déconfinait la cérémonie des Molière !

molière

Pauvre Molière, l’auteur le plus subversif, le plus insolent de son époque et qui se voit condamné, tous les ans, à être une statuette de bronze ou de laiton, pour la grande fête micro-parisienne du conformisme théâtral, toutes catégories - privé, public - confondues.

Cette mondaine singerie des César, eux-même singerie des Oscar, cette pâle copie d’une copie d’un original américain, n’a pas échappé à la crise sanitaire, mais elle résiste : les heureux nominés viennent de l’être et la fête se déroulera au théâtre du Châtelet, sans public !

Comme tous les ans, la liste est sans surprise, dans ce milieu fermé où règne un entre-soi bien-pensant et frileux. Le seul suspense est de savoir si c’est Pierre qui l’aura au lieu de Paul, ou l’inverse. Parmi les coqueluches du moment, et les découvertes 2020, j’ai noté au passage l’égérie de la Macronie culturelle et de la féminophilie en marche, Muriel Robin Et, pour les pauvres auteurs égarés dans ce dédale : côté privé, Alexis Michalik, qui fit sa gloire sur un Cyrano dont il n’a vraiment pas l’allure, et un Edmond dont il alla jusqu’à faire un film d’une cucunetterie rare ; côté théâtre dit public, l’autoresse ministérielle - et féministe, ça va de soi - Pauline Bureau avec sa pièce Hors la loi, un hymne novateur et courageux à la loi Veil.

Là, c’est un peu comme ces critiques (lointains descendants de ceux qui l’envoyèrent à la fosse commune) qui glorifient aujourd’hui le génie de Mozart, ou Macron lorsqu’il va encenser de Gaulle à Montcornet… On a les combats grandioses gagnés d’avance, et les victoires sans péril pour triompher sans gloire qu’on peut, ou plutôt qui conviennent à une soirée toute en convenances.

Mais peu importent les nominés, sortis toujours du même moule à gaufre théâtral, l’important, c’est qu’on puisse se retrouver entre-soi et se congratuler. Pas d’audace, surtout… Jetons-nous des fleurs et le théâtre est sauvé !

Il y a aura donc, dans ce Châtelet vide, les éternels présents, acteurs, metteurs ou auteurs des mêmes ritournelles, des mêmes théâtres, et il y aura les éternels absents de ces Molière : l’insolence, la liberté, l’audace, l’impertinence, la vraie création, pas celles des Tartuffe nouveaux, tapant sur le peuple populiste et les fachos-racistes ou lançant de vibrants appels de millionnaires à s’occuper des SDF.

Aussi, me suis-je dit, ne serait-ce pas le moment, alors que nous sommes entrés avec le Président nouveau dans un monde nouveau, d’arrêter ce machin ridicule ? Ou alors de le changer, pour qu’il serve à quelque chose, par exemple qu’il serve la création et le théâtre populaire. Pourquoi ne pas décentraliser cette soirée, l’ouvrir à tout le pays ? Qu’elle se déroule dès l’an prochain en province, à Guéret, dans la Creuse - voire à La Souterraine, où j’ai fait mes débuts, à la salle des fêtes, avec une troupe d’amateurs - puis, chaque année, ce serait, comme pour les étapes du Tour de France, une nouvelle ville, petite ou moyenne, qui serait choisie, dans deux ans, Béziers, où Molière créa Le Dépit amoureux en 1656, puis Luchon, où séjourna le grand Edmond Rostand - Michalik pourrait venir présider la cérémonie -, puis Thionville, où l’on n’en peut plus des Marx Brothers du centre dramatique, etc.

Les endroits ne manqueraient pas, où ce microcosme floral hors-sol trouverait de quoi renouer avec le bon peuple de France, celui qui a les pieds dans la boue du quotidien, celui des soignants qu’on médaille de chocolat, celui des gilets jaunes qu’on tabasse, celui des fumeurs de clopes et des véhicules diesel.

Une cérémonie pour laquelle les jurés auraient parcouru la France profonde, du nord au sud, et d’Algrange à Caussiniojouls, pour rechercher des spectacles nouveaux, des auteurs inconnus, et l’on ajouterait un Molière des meilleurs acteur et auteur de la région concernée…

Dés lors, la cérémonie des Molière statuettes renouerait avec l’esprit de Molière l’auteur ; car, enfin - ces fleuristes l’ont oublié -, avant de charmer Louis XIV, il avait fait le tour de la France et de ses villages à la recherche d’une singulière inspiration, ce qui lui permit notamment de découvrir combien ces coteries parisiennes, leurs Tartuffe, leurs Trissotin et leurs bourgeois gentilshommes, comme leurs imitateurs provinciaux, étaient ridicules, au point qu’il en fit ses meilleurs personnages de comédie !

Jean-Pierre Pélaez
Jean-Pierre Pélaez
Auteur dramatique

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