Anne Coffinier : « L’école, comme l’armée à qui on le demande souvent, ne peut pas régler tous les problèmes de notre temps »
Pour certains, une formidable occasion de dispenser un enseignement de qualité. Pour d'autres, un risque de favoriser le « séparatisme »... Anne Coffinier fait le point sur l'essor et la place de ces écoles, collèges et lycées que l'on appelle « hors contrat ».
Anne Coffinier, vous êtes présidente de l’association Créer son école. Cette année encore, le nombre d’écoles « hors contrat » a-t-il augmenté ? Les fondateurs n’ont-ils pas été découragés par les mesures sanitaires ?
129 établissements scolaires libres ont ouvert cette année, contre 124 l’an dernier. Nous appelons ainsi les écoles, collèges et lycées privés qui sont libres de choisir leurs méthodes pédagogiques, leurs professeurs et leur organisation, pourvu qu’ils se conforment à la législation et aux règlements qui s’appliquent à la liberté d’enseignement. La « double crise » du Covid-19 et de la loi Gatel d’avril 2018, qui a renforcé les exigences légales conditionnant l’ouverture d’écoles libres, n’a pas enrayé l’essor de ces écoles, tant le mouvement de fond est puissant. Il y aurait eu une trentaine d’établissements supplémentaires sans la crise économique et sanitaire, et sans l’obligation d’avoir un directeur ou une directrice qui ait travaillé cinq ans dans un établissement d’enseignement. Cette clause est, en effet, assez malheureuse car elle empêche des créations d’écoles par des chefs d’entreprise, des professeurs à domicile, des orthophonistes, des éditeurs scolaires et de nombreux talents qui ne sont pas passés par un établissement d’enseignement pendant cinq ans, même s’ils sont docteurs en lettres classiques. Pour une start-up nation, ce n’est pas optimal !
Dans l’éventail des écoles hors contrat, on trouve beaucoup d’écoles primaires, un peu moins d’écoles secondaires… peut-être parce que les parents les jugent plus « hasardeuses » pour l’avenir de leurs enfants, s'inquiétant de la possibilité, ensuite, pour ceux-ci, de rejoindre la place de leur choix dans l’enseignement supérieur ? Est-ce une crainte justifiée ?
Avec 18 % de collèges et 6,2 % de lycées généraux ouverts à la rentrée 2020, les créations d’établissements pour le secondaire ne se portent pas si mal, surtout si l’on considère leur coût de création, toujours bien supérieur à celui d’un établissement primaire.
Les créations de lycées ont été perturbées, cette année, par la réforme du baccalauréat. En effet, il est clair qu’elle pose un problème de discrimination inacceptable pour les lycées hors contrat et pour les candidats libres. Le gouvernement a été alerté et des pourparlers sont en cours, notamment à l’initiative des syndicats. Aujourd’hui, le dispositif tel qu’il a été conçu ne permet pas une prise en compte correcte des candidatures des élèves des lycées hors contrat dans le système Parcoursup. Il ne semble pas pensable qu’on s’en tienne au statu quo, que le juge ne pourra de toute façon que censurer, s’il faut en arriver à saisir les juridictions.
Notons aussi que, cette année, le baccalauréat a été obtenu par les établissements privés hors contrat au contrôle continu comme les autres établissements. Résultat : tout le monde s’est aperçu qu’il était tout à fait possible de prendre en considération leurs notes avec autant de confiance que si elles émanaient d’un établissement public ou sous contrat. On y trouve les mêmes problèmes qu’ailleurs, de professeurs et d’établissements qui sous-notent ou qui sur-notent.
Remarquons que, dans certaines académies comme dans celle du 93, le nombre de professeurs contractuels ou vacataires dans l’enseignement public ou privé sous contrat est élevé. Ce sont donc, dans ces cas, souvent des professeurs non titulaires des concours de l’enseignement public qui notent les élèves en contrôle continu sans que personne ne conteste la validité de ces notes qui sont, ensuite, prises en compte pour les diplômes nationaux et Parcoursup. Alors, comment soutenir que les notes émises par les enseignants des établissements privés hors contrat, soumis désormais à des obligations en termes de diplômes minimaux et inspectés régulièrement par l’Éducation nationale, ne pourraient pas être prises en compte pour les examens nationaux ?
Récemment, on a entendu un député du Val-d’Oise dire, sur un plateau télévisé, son inquiétude de voir fleurir des écoles hors contrat islamistes… De fait, cette liberté n’est-elle pas aussi un risque ?
11 écoles musulmanes ont ouvert cette année (et seulement 9, si l’on raisonne en termes de groupe scolaire), sur 129 établissement créés. Ce n’est donc pas ce qu’on appelle un raz-de-marée. Il y a des musulmans en France. Il n’est donc pas étonnant que des écoles musulmanes soient créées, et qu’elles soient plus nombreuses puisque le nombre de pratiquants de l’islam tend à croître. Pas surprenant non plus, que des écoles où les filles peuvent mettre le voile soient créées depuis l’entrée en vigueur de la loi sur le voile qui interdit le port de ce dernier à l’Éducation nationale. Ceux qui concentrent leur inquiétude sur l’essor des écoles privées musulmanes hors contrat (qu’ils confondent, d’ailleurs, souvent allègrement avec des écoles coraniques, ce qui en dit long sur leur faible maîtrise du sujet) devraient se rappeler que la promotion de l’islam radical est loin de s’opérer d’abord dans ces institutions soumises à contrôles et déclarations auprès de l’Éducation nationale, mais bien plutôt dans nombre d’écoles publiques elles-mêmes, dans les associations sportives et périscolaires et, vraisemblablement, dans les établissements privés musulmans sous contrat. Ce que rapportent les médias comme les spécialistes sont d’abord et surtout des phénomènes de séparatisme, voire de radicalisation criants au sein même de l’école publique. Le tout récent livre de Jean-Pierre Obin, inspecteur général honoraire de l’Éducation nationale, Comment on a laissé l’islamisme pénétrer l’école, le montre très clairement. Et, comme l’indique Hugo Micheron, auteur de Le Jihadisme français. Quartiers, Syrie, prisons (2020) en page 12, si l’on prend les 79 attentats (dont 59 déjoués) dont la France a été l’objet, entre 2012 et 2018, « dans leur immense majorité, ces actes criminels […] ont été perpétrés par des Français éduqués à l’école de la République ». Ce que nous ne pouvons que déplorer avec Jean-Pierre Obin, qui écrit, en page 8 de son livre : « Comment l’école laïque, l’école républicaine, notre école publique, a-t-elle pu ainsi laisser prospérer, voire nourrir en son sein une idéologie aussi opposée à ses valeurs ? Comment en est-on arrivé là ? »
S’il est plus logique de se préoccuper de l’école publique avant de se préoccuper des microscopiques écoles musulmanes hors contrat, il est aussi bienvenu de se souvenir que les plus importantes écoles musulmanes fonctionnent, aujourd’hui, grâce au statut d’établissements sous contrat d’association avec l’État. La plus ancienne étant l’école franco-musulmane de Saint-Denis de la Réunion – la Médersa Taalim oul-Islam, sous contrat depuis 1990. Pour être encore plus précis, la plupart de ces écoles musulmanes sous contrat relèvent de la mouvance des Musulmans de France (ex OIF), donc de la mouvance frériste (Al-Kindi à Lyon, Averroès à Lille, Ibn Khaldoun à Marseille, etc.). Concentrer la politique de lutte contre le séparatisme sur le secteur privé hors contrat constitue donc une réponse inappropriée à la réalité du problème. Pour éviter que ne se développent des lieux où prévaut une approche séparatiste de l’existence des musulmans en France, il faut que l’État définisse quelles formes et quels contenus d’éducation sont compatibles avec les lois et valeurs françaises, et lesquels ne le sont pas. Ce n’est certainement pas en stigmatisant toutes les écoles musulmanes, quand ce n’est pas toutes les écoles confessionnelles, voire toutes les écoles hors contrat (qui sont aconfessionnelles à 80 % !), qu’on préviendra la montée du séparatisme et de la radicalisation en France.
Le mot « ensauvagement » fait, ces jours-ci, la une de l’actualité. Pensez-vous qu’il trouve partie de son explication et donc de son remède à l’école ?
L’école, comme l’armée à qui on le demande souvent, ne peut pas régler tous les problèmes de notre temps. Aujourd’hui, les enseignants se sentent écrasés par un sentiment d’impuissance lorsque les décideurs politiques et administratifs les chargent de résoudre tous les maux de la société à eux seuls. C’est un sursaut collectif qui peut ramener la civilisation et l’harmonie dans notre pays. Le monde de la culture, les mass médias, Internet et, bien sûr, les parents ont une place bien plus décisive que la seule institution scolaire dans la lutte contre la barbarie qui guette chacun d’entre nous. Enfin, c’est aux catholiques de faire leur examen de conscience - et de confiance, d’ailleurs - pour trouver les moyens de recréer des écoles libres et responsables, ouvertes sur le monde, conquérantes, qui transmettent l’approche christique de l’existence, dont rien ne permet de penser qu’elle ait perdu de sa pertinence.
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