Algérie : le président Abdelmadjid Tebboune demande un travail de mémoire sur toute la période coloniale. Chiche ?

Abdelmadjid Tebboune

À l’occasion de la commémoration des 60 ans de l’indépendance de l’Algérie, le 5 juillet dernier, le président Abdelmadjid Tebboune a longuement reçu Benjamin Stora, l’historien qui avait été chargé par Emmanuel Macron de la rédaction d’un rapport pour « dresser un état des lieux juste et précis du chemin accompli en France sur la mémoire de la colonisation et de la guerre d'Algérie ». Benjamin Stora a fait part de la volonté d’Emmanuel Macron d’un « renforcement des liens déjà forts » entre les deux pays et de son « engagement à poursuivre sa démarche de reconnaissance de la vérité et de réconciliation des mémoires ». Il est d’ailleurs question d’une visite prochaine du Président français en Algérie (L’Express, 10 juillet).

Interrogé par l’AFP, Benjamin Stora dresse le bilan de cette entrevue avec Abdelmadjid Tebboune. Ce dernier lui a rappelé l’importance majeure pour lui « d'un travail de mémoire sur toute la période de la colonisation », au-delà de la seule guerre d'Algérie (1954-1962). Un avis largement partagé par Benjamin Stora, originaire de Constantine, engagé à gauche (même à l’extrême gauche dans sa jeunesse) et, depuis longtemps, persona grata en Algérie. Est-ce à dire que Benjamin Stora, « historien entre deux rives » de la Méditerranée, sera le médiateur le plus soucieux de défendre la mémoire des Français d’Algérie et de l’œuvre de la colonisation française ? On peut légitimement en douter.

En effet, comme l’explique Jean Sévillia, « Stora tend à appliquer l’histoire de la souveraineté française sur l’Algérie une grille d’analyse unique, celle du colonialisme, qu’il associe automatiquement à des pratiques et des mentalités fondées sur les inégalités entre les dominants, les Européens, et les dominés, les Algériens. [...] Benjamin Stora épouse a posteriori la cause de l’indépendance »(Figaro Histoire, n° 53, Ce qu’était l’Algérie française).

En clair, appliquer une grille d’analyse historique fondée sur une rhétorique marxiste s’accorde mal avec une exigence de vérité et de justice. Surtout dans le domaine ultra délicat de la recherche historique de cette époque.

Toujours à l’AFP, Stora explique d’ailleurs que « la guerre de conquête a été très longue et très meurtrière. Elle a duré pratiquement un demi-siècle », de 1830 à 1871, et fut le théâtre d’une « dépossession foncière et identitaire » - « lorsque les gens perdaient leur terre, ils perdaient leur nom » - et par la mise en place d'une « colonie de peuplement » avec, au final, un million d'Européens sur neuf millions d'habitants. On sent poindre ici un parti pris mémoriel pour la narration algérienne, pro-FLN, de la période coloniale.

Les travaux de l’historien Guy Pervillé, universitaire spécialiste de l’histoire de l’Algérie coloniale et de la guerre d’Algérie, tempèrent, voire infirment ces propos. L’Algérie, une colonie de peuplement ? Si cela a été un projet de la France coloniale, il ne fut que très partiellement réalisé. Au plus fort de la présence française, seulement 14 % de la population en Algérie était d’origine française et européenne (1926). En 1954, cette population non algérienne « de souche » tournait autour de 10 %.

Quant à la dépossession identitaire des Algériens, Guy Pervillé pointe au contraire l’un des bénéfices majeurs de la colonisation : création et pérennisation des frontières, cadre de l’identité algérienne et condition de l’expression de sa souveraineté : « La notion européenne de frontière fixée par des bornes sur le terrain n’existait pas encore et la limite entre les tribus soumises aux trois beyliks et les tribus insoumises restait changeante. C’est donc la France qui a doté l’Algérie de ses frontières […] Si l’Algérie a réussi à devenir le plus grand État d’Afrique (2,38 millions de km2), c’est moins grâce aux sacrifices de ceux que ses dirigeants désignent comme ses "martyrs" qu’à l’héritage de l’expansion coloniale française, légitimée en 1964 par la déclaration de l’Organisation de l’Unité africaine sur la pérennité des frontières coloniales » (Figaro Histoire).

De concert avec le président algérien qui réclame un « travail de mémoire commun » sur la période coloniale, Stora explique que « »les gens ne connaissent pas ce qu'il s'est passé. C'est le problème de la transmission aux jeunes générations et du travail en commun. »

Ce travail de mémoire commun, dont on ne sait pas encore dans quelles conditions il sera mis en place, saura-t-il rendre justice de l’œuvre colonisatrice française qui a été, certes avec des échecs, une gigantesque entreprise de création d’un État moderne ? Parlera-t-on des milliers d’hectares défrichés, des marais asséchés, du maillage routier et ferroviaire du territoire algérien, de la modernisation de l’agriculture, de la création d’un système de santé qui n’avait alors rien à envier aux provinces métropolitaines ? Parlera-t-on d’Alphonse Laveran, médecin militaire, découvreur en Algérie du paludisme et, à ce titre, prix Nobel de médecine en 1907 ? Ou, au contraire, cette nouvelle ère sera-t-elle l’occasion pour l’Algérie de faire fructifier cette « rente mémorielle » sur laquelle le FLN, il y a 60 ans, avait jeté les bases des relations franco-algériennes ?

Marie d'Armagnac
Marie d'Armagnac
Journaliste à BV, spécialiste de l'international, écrivain

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