"L’Afrique n’a pas besoin de charité", tançait Jean-Claude Juncker, mercredi dernier, dans son discours sur l’état de l’Union, en réponse au 7e forum sino-africain et à sa promesse d’une aide "sans conditions" de 60 milliards de dollars, outre la myriade d’investissements privés.

Qu’on en juge : depuis le lancement du forum en 2000, le commerce sino-africain a crû d’environ 20 % par an. Quant à l’aide chinoise, qui regroupe des concours financiers hétéroclites, elle serait passée de 5 à 60 milliards de dollars entre 2000 et 2015. Ainsi, bien que l’Union européenne assure toujours 36 % du commerce africain, la Chine est le premier pays partenaire depuis 2009, dépassant la France en 2006.

Mais cette déferlante n’a pas comme seul ressort une économie chinoise florissante. Elle trouve son origine en 1955, lorsque la Chine s’est imposée comme le fer de lance des « non-alignés ». L’empire du Milieu a eu, ensuite, beau jeu d’entretenir le mythe d’une coopération égalitaire, aussi bien pour les investissements que pour l’aide bilatérale dénuée de conditionnalité politique. Un mythe d’autant plus puissant que le « modèle chinois » est aussi porteur d’espoirs d’essor économique. "La Chine a pu développer son économie sans piller les autres pays et le miracle économique chinois est une source d’orgueil et d’inspiration", philosophait le dictateur zimbabwéen Robert Mugabe, dont l’animosité proverbiale envers l’Occident tenait de l’acte de foi.

Pourtant, la légende d’échanges « gagnant-gagnant » ne résiste pas à l’examen. « L’usine du monde » importe d’Afrique, à 78 %, du pétrole et des minerais et y exporte, à 92 %, des biens manufacturés. Quant au « miracle chinois », il est aussi un prétexte commode pour justifier des salaires parfois jugés misérables, même à l’aune des critères locaux. En témoigne le discours bien rodé de cette dirigeante du Huajian Group en Éthiopie, qui contrait toute revendication salariale en arguant "que les Chinois étaient aussi pauvres il y a trente ans, et qu’il leur a fallu beaucoup de temps et d’efforts pour réussir". En témoignent, également, des conditions de travail qui font parfois fi de la sécurité élémentaire : après l’acquisition de la mine de Luanshya (Zambie) en 2008 par la Compagnie chinoise des métaux non ferreux, le site déplorait trois accidents par semaine en moyenne.

"La Chine a plongé là où “l’homme blanc” craignait de mettre le pied", notait Richard Dowden, alors directeur de la Royal African Society (Royaume-Uni). En investissant dans des projets audacieux, comme la voie de chemin de fer TanZam entre la Zambie et la Tanzanie (1968-1976), rejetée par les investisseurs occidentaux, la Chine a marqué de son estampille l’ensemble du continent. Quant à sa conception apolitique de l’aide bilatérale, elle a ringardisé l’ingérence européenne.

"Cacher sa brillance et cultiver l'obscurité", professait Teng Hsiao-Ping, artisan de la Chine moderne. À pas de loup et en un temps record, l’Empire céleste aura effectivement fait de l’Afrique sa chasse gardée. Et les Européens ne peuvent s’en prendre qu’à eux-mêmes.

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16 septembre 2018 à 20:50

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