Ruralité : qu’est-ce qu’on a fait au bon Dieu ?

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Place de la cathédrale, Sens (89).

Il est 9 h 30. Casquette gavroche, baguette de pain, café crème et presse locale ; aujourd’hui, le petit déjeuner est servi en terrasse. Pour 4,90 €, l’ardoise de la brasserie Au Bon Sens soumet « une boisson chaude et un jus d’orange avec un croissant ou une tartine ». Sur le revêtement flotte un drapeau bourguignon, symbole d’un fief à rebours des conflits sociaux. Avant, les ronds-points avaient un comptoir. Les solitaires devenaient solidaires. On se rendait service pour pas cher et ça se réglait aux levers de coude.

C’est encore un peu l’esprit de ce troquet. La clientèle se reconnaît. Si l’un ou l’autre vient à manquer, l’amitié paye sans trinquer. Il y a de tout : des retraités, des commerçants, des routards, de jeunes couples et de vieux copains. On se prête le quotidien républicain devant le local d’un hebdomadaire régional, L’Indépendant de l’Yonne. 1,10 € pour pas grand-chose. Un journaliste en sort, d’ailleurs. Il s’assied à une table avec deux autres gars, c’est sa façon d’aller aux nouvelles. Pour les ragots, pas besoin d’aller plus loin.

Le bureau de presse tourne plutôt bien, autant que les pâtisseries du centre-ville. Deux Meilleurs Ouvriers de France se le partagent, Olivier Vidal et Pascal Caffet. Avec eux, le pâtissier-chocolatier Éric Gaufillier, légende sénonaise, entretient aussi sa clientèle. Les artisans de bouche gardent la cote malgré une décentralisation progressive des commerces et des activités culturelles en périphérie. Le suicide rural. On ne vient plus au cinéma qu’en voiture et les derniers magasins d’intérieur cèdent face à la concurrence d’Internet. Les grandes surfaces font de grandes pertes sociales, la mairie sacrifie ses commerçants. Ne reste qu’une série de locaux abandonnés entre quatre pharmacies, trois bijoutiers, une librairie, quelques magasins de vêtements et de cosmétiques. Le luxe, penserez-vous ! Ça paraît déjà bien, c’est déjà ça.

Et rien, rien pour pallier ce vide. Rien pour combler le néant culturel formé par cette politique de surconsommation, de toujours plus ailleurs, de décommunautarisation française au profit de minorités éthiques, religieuses ou politiques... qu’importe. Le constat est là. Les jeunes s'encanaillent, ils apprennent à faire du trafic à la sortie du collège ; à défaut de savoir lire, ils apprennent à compter. Les artisans s'endettent, les agriculteurs se suicident et les kebabs fleurissent dans nos campagnes.

Alors, passer 15 heures au Salon de l’agriculture, c’est bien. Mais se frotter au cul des vaches ne permettra jamais de se frotter aux difficultés de notre pays.

Au Bon Sens, le temps passe et les amis ne se quittent plus. Il est 12 heures, les tables sont mises : pâté, côtes de porc, magret de canard, andouillette ou croque-monsieur… Les traditions n’ont, elles, pas quitté l’assiette.

Maud Protat-Koffler
Maud Protat-Koffler
Journaliste en formation

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