1968-2018 : on a pu voir ce slogan inscrit sur des gilets jaunes tandis que des porte-parole du mouvement multipliaient les références à 1789. En cette période propice aux récapitulatifs, voyons ce que valent ces comparaisons.

Concernant Mai 68, on peut certes noter quelques similitudes avec l’actualité, notamment le caractère massif de la contestation (dans les deux cas, des millions de Français qui, plus ou moins activement, soutiennent le mouvement), la focalisation des contestataires sur la personne du Président ou encore le parti pris des médias officiels, l’ORTF en 1968, les chaînes des oligarques aujourd’hui. Pour le reste, ce sont surtout les différences entre Mai 68 et l’hiver 2018 qui sautent aux yeux.

Ainsi, la révolte de 68 a été initiée par de jeunes Parisiens aisés, tandis que celle de 2018 l’a été par des adultes provinciaux défavorisés. En mai 68, la contestation des étudiants a été relayée par celle des représentants syndicaux, qui brillent aujourd’hui par leur absence. En 1968, les forces de l’ordre et la Justice ont fait preuve d’une retenue inhabituelle, tandis qu’en 2018, c’est leur sévérité qui surprend. En 1968, la majorité de la population soutenait le pouvoir, tandis qu’aujourd’hui, l’opinion publique soutient les gilets jaunes. En réaction au mouvement, le général de Gaulle a fait des réponses fortes comme l’augmentation de 35 % du SMIG et la dissolution de l’Assemblée nationale, là où notre Président s’est contenté de jeter de l’huile sur le feu.

Quid de 1789 ? Aux titres des similitudes, on peut noter l’hostilité du peuple à l’égard de la noblesse (aujourd’hui, l’alliance de la haute fonction publique et des milieux financiers) et du clergé (aujourd’hui, les bonnes consciences journalistiques, associatives et sectaires) mais, là encore, ce sont surtout les contrastes qui sont saisissants. Ainsi, en 1789, la révolte a été initiée par les représentants politiques alors qu’en 2018, elle est venue de ceux qui ne se sentent plus représentés. En 1789, dès le 14 juillet, on a vu des têtes sur des piques alors que les gilets jaunes sont restés pacifiques. En 1789, Louis XVI a voulu témoigner de sa bonne volonté en arborant la cocarde tricolore des révolutionnaires parisiens tandis que l’on n’a pas vu Emmanuel Macron en gilet fluo.

Faut-il, pour autant, renoncer à toute comparaison ou bien peut-on retrouver dans l’Histoire récente un exemple de révolte populaire, massive et pacifique, incarnée par des inconnus projetés sous les feux de l’actualité et dirigée contre un système verrouillé ou des élites bunkérisées ? Eh bien, oui : tout cela ressemble fort aux révolutions de 1989 qui ont fait chuter les régimes communistes d’Europe de l’Est.

L’année 2019 marquera-t-elle la fin du capitalisme financier comme l’année 1989 marqua la fin du communisme européen ? Rien n’est encore écrit car il y avait, en 1989, une dimension spirituelle, incarnée notamment par des prêtres, des pasteurs et des popes, une dimension spirituelle qui a joué un rôle majeur dans la détermination des manifestants et dans le succès du mouvement. En Pologne, comme en RDA ou en Bulgarie, on exigeait non seulement plus de prospérité et de liberté, mais on voulait aussi retrouver son âme, c’est-à-dire ses traditions culturelles et spirituelles.

C’est de ce petit supplément d’âme que dépendra l’issue de la révolution des gilets jaunes.

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03 janvier 2019 à 9:19

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