Il y a visiblement une politique négative comme il y a une théologie négative. Pour accéder efficacement à la vérité, il faut d'abord débarrasser les idées des idoles qui la cachent, il faut d'abord nier et rejeter, faire place nette. En politique, Macron et les Français qui ont voté pour ses candidats ont d'abord voulu rejeter, éliminer, repartir sur d'autres bases. C'est le "dégagisme", le volet "destruction" de la révolution Macron, et les résultats sont spectaculaires. Mais, pour le volet « construction » de la maison Macron, en revanche, les choses sont moins nettes.

M. Bilger a finement observé que M. Macron avait beaucoup appris des heurs et surtout des malheurs de ses deux prédécesseurs. Si M. Hollande lui a servi, dans quasiment tous les domaines, de contre-exemple, et donc de puissant faire-valoir dans l'opinion, le nouveau Président semble avoir été sensible à ce que le profil de M. Sarkozy avait eu de novateur et de porteur.

De Sarkozy, il a repris la stratégie de la rupture et de la transgression. Rupture avec les figures vieillissantes et discréditées de son camp (Chirac pour l'un, Hollande pour l'autre). Et transgression idéologique (faire campagne sur les thèmes du FN pour Sarkozy, sur ceux de la droite libérale pour Macron) aussi bien que tactique, avec l'ouverture à la gauche pour Sarkozy et, pour lui, la nomination au gouvernement de plusieurs hommes de droite.

Mais voilà, tout cela, c'était l'image, la campagne. Gagnantes, certes, pour l'un comme pour l'autre.

Mais c'est l'incapacité de M. Sarkozy à faire entrer la rupture et la transgression dans les faits qui fit son échec et, au-delà, qui plomba la droite jusqu'à aujourd'hui, et peut-être pour longtemps. De même, M. Macron a dû méditer la pantalonnade de M. Hollande annonçant solennellement au Congrès la déchéance de nationalité pour l'abandonner deux mois après, parce que Mme Taubira tweetait. Ses devanciers lui ont montré que la transgression n'est porteuse que si elle est effective, assumée, menée au-delà des attentes.

Si notre nouveau Président a retenu la leçon de ses prédécesseurs, il devra opérer des ruptures et des transgressions bien plus fortes, pas seulement dans la communication, et pas seulement dans le domaine qu'il a choisi pour cela : l'économie. Car, franchement, un centre et une gauche qui font une politique libérale, avec MM. Philippe et Le Maire, ce n'est ni une innovation ni une transgression. Et elle ne sera pas de nature à mobiliser une forte majorité populaire. Tout juste bonne à faire grossir la gauche insoumise.

Or, dans cette perspective, pour éviter à sa majorité toute fraîche l'échec qu'amènerait une déception, M. Macron n'a pas d'autre choix que d'aller vers une transgression majeure, historique : la récupération des valeurs identitaires. Au-delà de l'incantation. Et jusque dans une politique assumée et précise d'arrêt de l'islamisation de la France.

Il a pour cela des atouts considérables : son état de grâce ; un parti et une majorité de nouveaux, d'anonymes, sans barons ni rivaux, malléables à son gré ; une ligne et un positionnement de départ suffisamment flous ouvrant tout le champ des possibles, y compris celui-là. Et, surtout, une foule de marcheurs qui n'auraient jamais accepté cette politique initiée par un homme de droite ou le Front national, mais qui la plébisciteront pourvu qu'elle vienne de lui, surtout en cas de nouveaux attentats islamistes. Faites le test dans vos familles, vous verrez. Il opérerait alors le dernier siphonnage : après celui de la gauche, de la droite, il se rallierait l'électorat populaire et patriote du Front national. Il n'y aura, dimanche soir, qu'une poignée de députés pour le représenter. Mais M. Macron sait bien que les valeurs et les inquiétudes de cet électorat, elles, sont toujours là, aussi solides que les raisons qui les fondent, et ses millions de voix aussi. Un contributeur avisé de Boulevard Voltaire rappelait, hier, une phrase de son discours du Louvre qui montrait que le nouveau Président était conscient de cette réalité et qui ouvrait la perspective d'une telle transgression.

Alors, en marche ? Oui, mais en marche jusque-là. Sinon, les choses se gâteront. Et M. Macron finira comme MM. Sarkozy et Hollande.

Il a, paraît-il, une ambition plus haute.

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16 juin 2017 à 0:46

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