Dans son dernier rapport, l’Institut Montaigne jugeait possible la création d’un « islam de France ». « Impossible » ne serait pas français, assure-t-on. Il n’empêche que, pour le moment, ça n’en prend guère le chemin.

Voilà plus d’un demi-siècle que la France abrite une importante minorité musulmane. Dans la reconstruction de l’après-guerre et la politique de grands travaux des Trente Glorieuses, la question ne se pose pas. Ces « travailleurs immigrés », tel qu’on dit alors, sont censés rentrer chez eux dès l’âge de la retraite. Avec la politique de regroupement familial, instaurée par le gouvernement de Valéry Giscard d’Estaing, certains finissent par se rendre compte que le provisoire commence à prendre des airs de définitif.

Du coup, l’État préfère sous-traiter le dossier avec les pays étrangers. C’est ce que l’on appellera l’islam des consuls. Les musulmans algériens sont donc pris en charge par l’Algérie, les Marocains par le Maroc, les Turcs par la Turquie, tandis que les fidèles d’Afrique noire le sont par leurs capitales respectives.

La France pense jouer gagnant, se délestant ainsi de problèmes auxquels les énarques n’ont pas été formés. Les États musulmans concernés y voient l’occasion de développer leur influence, quitte à exporter, ici, leurs propres conflits : les habitants du Xe arrondissement parisien savent bien qu’entre musulmans kurdes et turcs, la bonne humeur n’est que rarement au rendez-vous.

De leur côté, les Saoudiens développent le salafisme en nos contrées. Pas seulement par amour du prophète, mais surtout pour renforcer une légitimité ne coulant pas toujours de source : la famille régnante est, certes, protectrice des lieux saints, mais il lui faut aussi se faire pardonner sa corruption endémique et son suivisme vis-à-vis des USA, quand ce n’est pas d’Israël.

Le Qatar a également sa carte à jouer afin de contrer les appétits de l’hégémonique voisin saoudien et décide alors de financer les Frères musulmans, Tariq Ramadan en étant la tête de gondole. Mais Doha devant faire face au blocus économique de Riyad et au cataclysme causé par Tariq Ramadan, durablement carbonisé auprès de nos compatriotes musulmans, a dû depuis en rabattre. Autant dire que la voie est désormais grande ouverte pour Ankara. Et que la Turquie, ne manque pas de cartes maîtresses dans son jeu.

Tout d’abord, la minorité turque en France ne souffre pas de la mauvaise réputation de ses coreligionnaires maghrébins ou africains et de sa surreprésentation en matière de délinquance. De plus, l’islam turc, traditionnellement empreint de soufisme, inquiète moins que le wahhabisme arabe. Mieux : alors que la majeure partie des pays arabo-musulmans, dictatures plus ou moins assujetties à l’Occident, se trouve en proie aux convulsions qu’on sait, la Turquie a été épargnée par les révolutions, quelles soient ou non de jasmin. Et, quoi qu’on en dise, ce pays demeure une démocratie à l’économie performante, une nation de grande culture de longue date plébiscitée par les touristes. Bref, à défaut de faire forcément envie, la Turquie ne fait pas peur.

Tout se met donc en place pour que l’islam turc affirme sa prééminence en France. Phénomène, par ailleurs, facilité par la politique étrangère du président Erdoğan qui, délaissant son vieux tropisme pro-israélien, se présente aujourd’hui comme l’un des principaux soutiens du Hamas en Palestine. Voilà qui permet, au passage, de faire baisser de quelques crans l’ancestrale méfiance des musulmans d’origine maghrébine par rapport à ces Turcs qui furent, eux aussi, des colonisateurs, bien avant les Français.

Nos pouvoirs publics semblent peu à peu se rendre compte de la montée en puissance du phénomène. Il serait temps. Après, quelles réponses y apporter ? Ces mêmes pouvoirs n’en sont pas encore là, sachant que ce n’est pas le rituel appel à la prière républicaine et à ses valeurs qui pourra faire pièce à un État et à une foi raisonnant sur le temps long et tenant l’individualisme hédoniste pour signe ultime d’une civilisation en phase de pourrissement terminal. Ce en quoi ils n’ont peut-être pas fondamentalement tort ; mais là, c’est une autre histoire.

Cet article a été mis à jour pour la dernière fois le 09/01/2020 à 18:26.

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28 septembre 2018 à 20:45

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