[Une prof en France] Faire découvrir aux enfants le talent de leur main

menuisier

La moitié de mes élèves de 3e veulent partir dans la filière professionnelle. Pour eux, c'est surtout une porte de sortie qu'ils cherchent, pour fuir des enseignements qu'ils ne comprennent pas et dont ils ne voient pas l'intérêt. Toutefois, ils ne connaissent pas la diversité des métiers manuels et ne savent souvent rien faire de leurs dix doigts. Contrairement à l'idéologie qui a présidé à la création du collège unique, tous les adolescents n'ont pas d'appétence pour l'abstraction et un certain nombre d'entre eux n'y ont pas réellement accès. Or, l'enseignement dans le secondaire est essentiellement théorique, s'étant peu à peu éloigné, dans ses programmes comme dans sa pédagogie, de toute manipulation et même de tout contact avec la « matière ». Pourtant, les siècles passés mettaient à l'honneur les capacités manuelles, qui sont d'une grande richesse et d'une grande utilité dans la société. Et la recherche du XXe siècle a mis au jour les différents types d'intelligence, quand l'école ne sollicite et ne promeut que l'intelligence logico-mathématique - et de façon de moins en moins performante.

Est-il vraiment nécessaire que tous les élèves de 3e sachent ce qu'est une synecdoque ?

On met en échec de nombreux élèves - parmi lesquels un fort pourcentage de garçons - en les confrontant à des notions et à des exercices dont l'utilité ni la pertinence ne sont jamais vraiment évaluées. Si l'on regarde le programme de SVT de 5e, on voit que tous les élèves de France doivent apprendre ce qu'est une allèle, l'arbre phylogénétique, les chloroplastes et la lithosphère. Est-il vraiment nécessaire que tous les élèves de 3e sachent ce qu'est une synecdoque, un oxymore et un chiasme ? Que cherche-t-on à développer, finalement, chez les futurs adultes à travers ces apprentissages ? Le sens du détail, la rigueur, la logique, la curiosité intellectuelle : autant de compétences que l'on pourrait parfaitement développer à travers d'autres types d'exercices et la transmission d'autres contenus, moins abstraits, moins théoriques. Mais on ne le fait pas et on sanctionne ceux qui n'entrent pas dans ce moule normatif. Et comme ils sont nombreux, étant donné que toute la cohorte des enfants nés la même année sont maintenant soumis au même programme et aux mêmes enseignements jusqu'en 3e, on baisse le niveau d'exigence pour tous, de manière à ne pas enfoncer ceux qui restent imperméables à cela, ce qui n'empêche pas que l'image qu'ils ont d'eux-mêmes ne soit dégradée et qu'ils s'enferment dans une spirale d'échec. Conséquence de tout cela ? On se retrouve avec des adolescents qui ne savent toujours pas calculer la longueur d'un segment à partir du cosinus d'un angle - ce qui est d'une grande efficacité pour faire travailler le cerveau mais n'est pas d'une utilité quotidienne avérée - mais qui ne savent pas, non plus, coudre un bouton ou planter un clou.

Une jeune association, De l'or dans les mains, fait un travail remarquable pour compenser un peu ce défaut, avec la bénédiction de l'Éducation nationale qui se félicite que des acteurs privés fassent ce qu'elle devrait faire et ne fait plus. Sa fondatrice, Claire Légeret, a eu un parcours scolaire atypique, passant de l'échec scolaire, avec deux redoublements, à la réussite académique (hypokhâgne, khâgne et Sciences Po). Elle travaille ardemment à promouvoir la transmission des savoir-faire artisanaux pour que se perpétuent des métiers en déshérence et dont la société a vivement besoin. Elle rappelle que « la main est le prolongement de la tête. Pour être menuisier, il faut être bon en maths ! » Mais ces maths peuvent s'apprendre par l'intermédiaire de la main, qu'il faut à nouveau former et apprivoiser. Pour cela, il n'est pas utile d'attendre que les élèves aient 15 ans et des années de souffrance scolaire derrière eux.

Cet article a été mis à jour pour la dernière fois le 12/03/2024 à 13:01.
Virginie Fontcalel
Virginie Fontcalel
Professeur de Lettres

Vos commentaires

14 commentaires

  1. Bonjour Virginie, avec du retard. Des difficultés à charger les sujets BV. Ce que vous évoquez, cette mauvaise prise en charge des élèves qui ne sont pas constitués pour « la théorie » , uniquement la théorie, a toujours existé, à ma connaissance. Les enseignants ont toujours considéré que les métiers pratiques n’étaient pas très nobles, que le littéraire devait être supérieur au manuel. Mais bien sûr, ils recherchent le meilleur carreleur pour refaire leur salle de bain. Paradoxal ! Deux faiblesses de l’EN à ce sujet. Les écoles ne sont pas conçues pour s’adapter à ces deux cheminements en parallèle. C’est soit l’un soit l’autre. Pour l’élève, dès son plus jeune âge, tout particulièrement dans l’indécision, il doit se prononcer : la voie technique ou la voie littéraire. Alors qu’il ne se connait pas du tout dans bien des cas. La voie technique ouvre le champ aux deux possibilités. Dans le passé… Aujourd’hui, je ne sais pas. En première on abordait la philo, une découverte qui permettait de se réorienter. Mais les fondamentaux en matière de français étaient à revoir. « Synecdoque », je découvre. Dans la vie, est-ce bien utile de connaître ce mot et bien d’autres ? Un bon maçon, un bon menuisier, un bon charpentier (ceux de Notre Dame) un bon tailleur de pierres s’en privent aisément mais sont des mains d’or dans leur profession. Les enseignants devraient en prendre conscience et considérer les attentes des élèves dès l’âge de 13/14 ans. Dans le passé, on était soumis à des tests pratiques, des petits jeux concrets qui mettaient en avant les facultés de chacun, des tests en quelque sorte, proches du vécu, qui permettaient de conseiller l’élève dans son orientation. Est-ce que cela se pratique toujours ? J’en serais fort étonné. Nos pédagogues modernes préfèrent polariser l’enfant sur le genre. Pour ensuite lui reprocher de rechercher la pratique en consultant des sites X. Ce qui est appelé « le progressisme » . Bon, à moi seul je ne changerai pas l’air du temps. Virginie, toujours curieux d’en connaître un peu plus sur le monde éducatif. A propos, les parents sont-ils autorisés à assister à un cours, en se situant sagement en fond de classe ? Ce qui serait bien utile pour les études du genre….Bonne semaine virginie.

  2. Merci pour cet excellent article. Oui les programmes ne sont pas adaptés à la vie pratique. Moi-même en 1971 j’ai été victime de l’arrivée des maths modernes j’ai perdu mon temps à des stupidités incompréhensible pour un enfant et par contre je ne connaissais pas la surface d’un cercle. Heureusement j’ai eu un prof de physique de la vieille école au lycée qui nous a remis dans le bon chemin scientifiques. Il est triste de constater que le système ne se corrige pas mais qu’il faut compter que sur des individualités irréductibles telles que vous merci encore

  3. Il faut s’insurger contre cet enseignement du français ne consistant qu’à apprendre les noms bizarres des figures de style au lieu de s’intéresser, comme avant 1968, au contenu des textes littéraires : idées, raisonnements, analyse fine des sentiments, beauté rationnelle ou poétique. C’est ridicule et cela n’intéresse pas du tout les élèves. Tous mes enfants et petits-enfants ont été dégoûtés de la littérature à cause des cours de français. Certains se sont mis à lire tardivement MALGRE l’école.
    C’est comme si on enseignait l’histoire de l’Art en s’attachant uniquement à la longueur des pinceaux ou aux composants des peintures utilisées. Les figures de style et les outils matériels de l’artiste ne sont que des moyens sans intérêt en soi. En cours de français, on ne doit pas apprendre à écrire des livres mais à apprécier leur lecture. Or on a dégoûté de lire des générations entières.

  4. Merci au prof du lundi.Je suis complétement d’accord avec ce qui est di.J’ai fait partie de ces éléves mal aiguillés,lycée général alors que je n’arrêtais pas de bricoler.Total en math,nul ayant eu un prof qui pour détendre les 4 éléves du premier rang lorsqu’ils avaient un coup de mou m’envoyait au tableau et moi celà me dommait l’occasion de me degourdir les jambes et de faire rire les premiers de la classe.Je suis passé au lycée technique en section electronique et du coup les maths me sont devenus compréhensibles et je me suis éclaté mais j’ai perdu beaucoup d’énéergie et j’ai pas mal douté au lycée.Le lycée technique est toujours devalorisé en france on va au lycée technique quand on est pas capable de suivre au lycée classique.Pour ce qui était du travail à mon époque aulycée classique on avait 24 ou 25 heures de cours pars semaine au lycée technique je suis passé à 45 heures .On travallait le lundi,mardi,mercredi,jeuri matin,vendredi et samedi on avait devoir surveillé!!! Voilà comment c’était dans les années 1963.J’ai 79 ans et j’ai pu supporter ce régime.

  5. la main, l’œil, la mémoire, l’écoute, la répétition jusqu’au moment ou cela devient naturel et plus facile; on apprenais à écrire, c’est le premier travail manuel discipliné…..Et pas le moindre mais ça c’était autrefois !!!

  6. J’avoue avoir du aller chercher sur le dictionnaire pour savoir à quoi correspondaient tous les termes que vous avez listés et que les élèves de 3° doivent connaître. Toutefois, j’ai pu remarquer tout au long de ma vie professionnelle que ce n’était pas forcément ceux qui avaient réussi leurs études qui étaient les plus curieux et les plus débrouillards. L’école se doit de donner les bases nécessaires à l’éveil de la curiosité du futur adulte et surtout lui apprendre le sens de l’effort et de la rigueur. On ne peut que constater que tout l’inverse est fait.

  7. J’ai connu une époque (belle) ou l’instruction voulait dire quelque chose. À cette époque, l’école était obligatoire jusqu’à 14 ans, après c’était l’apprentissage, ce mot devenu tabou dans la bouche et les cervelles de nos « zélites » ! À cette époque, pratiquement tous les élèves sortaient « fiers » du primaire avec « leur certificat de fin d’études en poche. ils maitrisaient tous l’écriture, le calcul, la lecture et le Français. À cette époque, les classes comprenanient entre 35 et 40 élèves studieux, disciplinés attentifs et avides d’apprendre. À cette époque, j’étais assis à côté de mes camarades musulmans dont les parents parlaient peu notre langue et qui ,pourtant, s’en sortaient aussi bien que les autres. À cette époque, le nivellement par le bas n’existait pas et seul le mérite était récompensé. Ceux qui le voulaient et le pouvaient entraient au lycée Et un examen était obligatoire pour ceux qui n’avaient pas obtenu le fameux sésame. les autres rejoignaient les filières des métiers manuels, encore un terme devenu tabou ! Et les artisans étaient fiers de pouvoir transmettre leur savoir à ces jeunes avides d’apprendre un métier. Aujourd’hui, on inculque à la jeunesse un savoir de moins en moins maitrisé et de plus en plus démonétisé. Hélas cette époque est révolu, place au « progrès » !! Tout ce qui compte aujourd’hui, ce sont les loisirs, les jeux vidéos, les réseaux sociaux, les smartphones, les 35 heures (bientôt 32 voir 30) et peu d’efforts pour acquérir un peu de savoir faire, un peu de savoir vivre.

  8. J’aime bien la phrase qui dit : »un travailleur manuel est un intellectuel qui en plus sait se servir de ses mains »

  9. En revenir à l’apprentissage après le certificat d’étude , ce qui formait de bons ouvriers .

  10. Autrefois on partait en apprentissage dès l’âge de 14 ans et beaucoup ont trouvé leur vocation dans des métiers manuels dont on ne peut se passer . Pourquoi vouloir mener tous les enfants jusqu’au bac quitte à , comme vous le soulignez , tirer tout le monde vers le bas . Et puis l’alternance est aussi bien pour certains , et beaucoup de patrons se tournent vers ces jeunes parce qu’ils ont déjà de la pratique . Tout un système à revoir et arrêter ces mesurettes qui ne mènent nul part .

  11. J’ai obtenu mon certificat d’études primaire pour entrer au collège.
    Calculer le robinet qui goutte pour emplir une baignoire nous montrait ce que pouvait représenter les grand nombres et nous faire imaginer l’espace. Et beaucoup ont oublié que le français correct est à rapprocher des mathématiques. Si on ne sait pas lire le problème et en plus ne pas savoir ce qu’est une aubergine…

    • Vous avez remarqué, que ce soit à la télé ou la radio les mots utilisés sont de plus en plus compliqués à comprendre et on en invente tous les jours des nouveaux. Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué…

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