Un agresseur d’Alain Finkielkraut issu de la « mouvance islamiste », mais ils ont les yeux braqués sur la ligne Fachinot
Le film, sorti en 2013, s’appelle Austenland. Du nom d’un parc à thèmes consacré au célèbre auteur anglais du XIXe. L’héroïne ? Une sorte de Bridget Jones s’étant trompée d’époque. Elle se rend à Austenland, le cœur battant, pour enfin laisser libre cours à sa passion des bonnets à ruchés, des corsets à lacets, des bottines à boutons et des gentlemen à épouser.
Nombre de nos politiques et politologues se sont aussi trompés d’époque. Leur monde imaginaire s’appelle Thirtiesland - Emmanuel Macron l'a visité, le 31 octobre dernier, mettant en garde "contre un retour aux années 30" (Ouest France) - et ils entendent qu’on les y laisse évoluer en paix, faire galoper leurs fantasmes, caresser leurs illusions, se draper dans les atours de l’époque qu’ils jugent si seyants à leur teint et si bénéfiques pour le prochain scrutin, poursuivre l’antisémite de jadis qu’eux autres ont choisi, comme à Austenland on traque sans répit M. Darcy. Ils en rêvent la nuit, en perdent l’appétit. Et ils ne détestent rien tant que ceux qui veulent les ramener prosaïquement à la réalité d’aujourd’hui.
Sauf que si le très à l’eau de rose Austenland peut attendrir, c’est un cinéma très dangereux auquel se livrent ceux qui finissent par prendre en grippe - comme Thomas Guénolé - la victime elle-même parce qu’elle les dérange dans leur rêverie secrète.
"Il y a un nouvel antisémitisme […]. Il ne faut pas tout confondre, c’est pas les années 30", a témoigné Alain Finkielkraut sur CNews, dimanche. Il ne fait que répéter là ce qu’il disait déjà en 2014 (FigaroVox) : "L’analogie avec les années 1930 prétend nous éclairer : elle nous aveugle."
Sur LCI, peu après son agression, il évoquait une "réthorique islamiste" de la part d’un homme "légèrement barbu" : "Tu es un haineux, tu vas mourir, Dieu va te punir."
De fait, l’un des agresseurs, selon Le Parisien, a été reconnu par un policier comme "ayant évolué, en 2014, dans la mouvance radicale islamiste".
Or, la mouvance radicale islamiste est à Thirtiesland ce que la mini-jupe est à Austenland : un anachronisme. Qui force les doux rêveurs à revenir sur terre… ou pas : "Écœuré comme prévu le discours de Finkielkraut ce matin sur LCI passé de victime à accusateur des banlieues… ça va être une longue semaine", a tweeté Yassine Belattar. S’attirant aussi sec cette réponse moqueuse de Gilles-William Goldnadel : "Avec la meilleure volonté du monde, il était difficile de demander à Finky, rien que pour vous faire plaisir, de décrire son agresseur avec une petite moustache à la Hitler si celui-ci portait une barbe plus réglementaire."
Samedi soir, Alain Finkielkraut confiait au Parisien : "Ça m’étonnerait que ce soient des gilets jaunes d’origine […] Je pense que je n’aurais pas subi le même genre d’insultes sur les ronds-points." C’est évident. Dans son livre-enquête sur Sarah Halimi - trop visiblement juive pour être en sécurité dans son quartier de Belleville où le vivre ensemble est désormais un oxymore -, la jeune journaliste Noémie Halioua évoque, du reste, cette "alyah interne" des juifs, pour un autre quartier jugé plus sûr, "épousant ainsi la destinée des classes populaires décrites dans La France périphérique". Ces « gilets jaunes d’origine », comme les appelle Alain Finkielkraut.
Rejouer sans cesse la guerre d’avant plutôt que préparer celle d’après est une erreur récurrente dans l’Histoire. A-t-on assez reproché à ces pauvres stratèges militaires de l’entre-deux-guerres d’avoir gardé les yeux sur la ligne Maginot dont ils étaient si fiers sans anticiper le Blietzkrieg.
Que dira-t-on, plus tard, de nos stratèges politiques d’aujourd’hui, arc-boutés sur leur "ligne Fachinot", et qui ne pourront même pas arguer, comme les généraux d’hier, que rien ne laissait prévoir une telle situation ?
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