Suicide policier, suicide national ?
Il est toujours difficile, voire impossible, de percer le mystère d'un suicide. Mais l'on peut parfois considérer avec lucidité, regrets et colère les facteurs accumulés qui ont pu conduire au passage à l'acte ultime.
Le 12 novembre 2018, Maggy s’est donné la mort avec son arme de service. Policière courageuse de la BAC de Sartrouville, elle présidait la Mobilisation des policiers en colère, association créée en octobre 2016 en réaction à l’attaque de policiers au cocktail Molotov à Viry-Châtillon. Elle était devenue une figure emblématique de la souffrance des forces de l’ordre et de leur mobilisation, par-delà le jeu des syndicats. Elle faisait l'admiration et la fierté d'un très grand nombre de ses collègues, policiers en tenue, dont elle portait avec une extrême dignité la parole souvent étouffée ou déformée sous la pression.
Quelle est l'essence de cette souffrance ?
Les policiers en tenue sont confrontés, chaque jour, à ce que le monde a de plus laid, à ce que la nature humaine a de plus odieux. Comme les médecins et les pompiers, ils voient le malheur et la souffrance des victimes mais, de surcroît, comme les surveillants pénitentiaires, les policiers sont au contact quotidien de l'absolue noirceur d'âme des délinquants et des criminels. Comment se reconnaître – et comment ne pas se reconnaître – dans la part d'humanité, la part de "semblable" qu'il existe encore, face à soi, dans ce mineur inculte, asocial et ultra-violent qui a massacré pour un regard ou dans ce père bien inséré qui a violé ses enfants ?
Pour tenir, pour garder confiance, il y a la fraternité des collègues et il y a la vocation de servir la nation, la conviction d'être utile à la société, le sentiment de contribuer à une cause simple et juste : protéger le faible, rendre justice à l'opprimé, dissuader le voyou, arrêter le coupable. Il y a aussi le désir ardent, légitime, d'être respecté et honoré pour cet engagement. Non pas respecté en tant que personnage héroïque, mais en tant qu'incarnation d'une institution républicaine hautement respectable.
Au-delà des besoins matériels, des bas salaires, des heures supplémentaires accumulées, des locaux insalubres, des véhicules-épaves, des sacrifices familiaux, le malaise profond vient de la perte totale de sens et de repères moraux. Dans un renversement inouï des valeurs, le flic est méprisé quand le voyou est glorifié. Le flic est soupçonné, menacé et harcelé quand le voyou est protégé, justifié et excusé.
Avec la force opiniâtre d'une femme qui refusait simplement d'abandonner son pays au chaos, avec la ténacité fédératrice d'une égérie, au charisme aussi puissant que discret, avec la force d'âme d'une belle personne, Maggy s'est sacrifiée pour porter témoignage et tenter de réveiller les consciences.
Elle parlait aux Français. Elle leur disait la vérité des flics, dernière digue opposée à cette violence sans limite ni raison qui monte partout, qui ensauvage notre société, dans le déni coupable de certains juges, de journalistes, d’intellectuels et de politiciens de toutes obédiences.
Malgré sa force d'âme, Maggy a perdu confiance et, à son tour, elle a perdu pied. Elle a succombé à l'épuisement physique et moral, à la solitude de la vigie dans la nuit.
Maggy était une personne lumineuse, sensible et altruiste qui, comme chacun de nous, avait sa part d'ombre. Les investigations en cours sur le contexte de son geste désespéré jetteront peut-être un éclairage froid sur ses fêlures ou ses faiblesses. Mais nous, ses collègues et amis qui demeurons derrière elle, nous continuerons de porter, tant bien que mal, la flamme de son engagement pour sauver les nôtres de l'abîme.
Maggy Biskupski a été le 30e membre des forces de l'ordre à se donner la mort en 2018. Un mois plus tard, nous atteignions le nombre de 35 policiers et gendarmes suicidés. Cette profession est la plus touchée par le suicide en France. La digue est en train de céder.
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