Pas de pardon à Kigali
Ce titre à la Gérard de Villiers voudrait montrer l’inanité de la démarche du président de la République allant demander pardon à Kigali pour la supposée « accablante responsabilité de la France » dans le génocide qui a eu lieu au Rwanda en 1994.
Nous ne croyons pas une seconde que les vraies raisons de ce voyage déshonorant soient la volonté de réconciliation entre la France et le Rwanda, mais admettons.
D’abord, qui peut parler au nom de qui ? Le président Kagame ne représente que les 5 % de Tutsis (10 % avant 1994). Il est très probable que les 85 % de Hutus, vivant sous la terreur, le détestent. Kagame est en place depuis 25 ans. Son régime est fatigué, sa cote internationale en baisse (seul Macron semble l’ignorer). Les États-Unis, qui l’ont porté au pouvoir et toujours soutenu, commencent à s’apercevoir – il était temps ! - qu’il ne respecte pas les droits de l’homme : être élu sans opposition, avoir mis quelques dissidents en prison, c’est, pour eux, plus grave que d’avoir provoqué la mort de plusieurs millions de personnes. Il reste que l’idée fait son chemin outre-Atlantique que Kagame pourrait ne pas être un interlocuteur respectable.
Quant à Macron, que les deux tiers des Français ne souhaitent pas voir réélu[1], combien se sentent encore engagés par ce qu’il dit ?
Il reste que cette rencontre pose un problème grave, et d’abord du côté du Rwanda.
La France n’a rien à se reprocher
La question n’est en effet pas celle de la responsabilité de la France : elle n’a rien à se reprocher dans cette affaire. On peut douter de l’opportunité de l’appui apporté par François Mitterrand au président hutu Juvénal Habyarimana (en place de 1978 à 1994). Mais discuter une politique n’est pas condamner et encore moins criminaliser. Il n’était, en tous cas, pas honteux de soutenir ce président : les grands massacres ont eu lieu après sa mort. Il avait une assise démocratique, celle de l’ethnie hutue, majoritaire à 85 %. Il était infiniment moins despotique et criminel et même moins corrompu (et encore moins corrupteur !) que Kagame qui lui a succédé. Il faut être beaucoup plus répressif pour assurer la domination d’une minorité de 5 % de la population que d’une majorité de 85 %. Or, dès le départ, l’actuel régime était fondé sur une terreur dont il y a peu d’exemples récents sur la planète.
Il a été amplement démontré, par ailleurs, que les troupes de l’opération Turquoise envoyées en interposition, à l’été 1994, n’ont été en aucune manière complices de génocide[2]. Il n’y avait donc rien à se faire pardonner du côté français. Mais qui pardonnera jamais à Kagame ?
Le problème véritable est celui de la responsabilité du dictateur dans les crimes qui ont ensanglanté cette région. Elle est presque totale.
Kagame a entrepris d’envahir le Rwanda en 1990, sans aucune légitimité sinon celle de représenter l’ancienne noblesse tutsie en exil. Il a commis de terribles massacres de Hutus au fur et à mesure que ses troupes avançaient. Le million de paysans hutus réfugiés à Kigali pour fuir en savaient quelque chose. Il n'a pas appliqué le cessez-le feu prévu dans les accords d’Arusha (1993) et a continué à avancer, bénéficiant de l’appui de ses parrains anglo-saxons alors que le camp gouvernemental se trouva brusquement privé de celui de la France, seule à respecter les accords. Il aurait détruit en vol l’avion qui transportait le président Habyarimana et son collègue du Burundi, également hutu, le 6 avril 2018, ce qui a déclenché la vague de massacres de l’été 1994 (plusieurs centaines de milliers de victimes, pas seulement tutsies). En 1997, il a lancé ses troupes à l’assaut du Congo voisin, qu’elles ont parcouru pour éliminer les Hutus réfugiés et de nombreux Congolais, tuant les hommes et mutilant atrocement les femmes que le Dr Mukwege, prix Nobel de la paix 2018 et témoin irrécusable, s’évertuait à réparer (plusieurs millions de victimes hutues et congolaises)[3] (cf. rapport Mapping du Haut-commissariat des Nations unies pour les réfugiés 2009).
Cela, tous les chefs d’État le savent, en tous les cas les Africains. En allant demander pardon au principal responsable de ces atrocités, Macron se ridiculise à la face du monde.
[1] https://www.ladepeche.fr/2021/04/27/les-francais-jugent-durement-le-bilan-de-macron-9512348.php
[2] Voir en particulier Charles Onana, Vérité sur l’Opération Turquoise, L’Artilleur, 2019, et Enquêtes sur un attentat, Rwanda 6 avril 1994, L’Artilleur, 2021.
[3] Rapport Mapping du Haut-commissariat des Nations unies pour les réfugiés, 2009. https://www.ohchr.org/documents/countries/cd/drc_mapping_report_final_fr.pdf
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