Notre-Dame de Paris, foyer des vanités

Notre-Dame

À force de dessiner des produits de consommation courante, Philippe Starck est devenu un concept. Un homme-marque, disent certains. « Human friendly », végétarien, « préférant le bon au beau » parce que « le populaire est élégant et le rare, vulgaire ». Respectabilité premium, donc : plus haut, c’est le ciel.

Il n’empêche. Starck a récemment donné un entretien à France Info. Il s’y exprime sur la reconstruction de Notre-Dame. Et certains de ses propos surprennent (« interpellent », disent-ils). Commençant par relativiser (« pas besoin d’être croyant… », « tout ce qui meurt, c’est triste… »), il propose de « sortir ça du domaine de l’architecture » et donc « du talent de Viollet-le-Duc » pour entrer dans « le domaine du génie ». Pour lui, la question est de savoir si nous sommes encore capables de génie. Qui cela, nous ? L’homme-marque ne le dit pas.
En tous les cas, « nous », ce ne sont pas les architectes, car il faut, poursuit l’homme-concept, qu’à l’instar des bâtisseurs de la cathédrale, ceux qui rebâtiront n’aient pas de « prérequis culturel » : il faut des philosophes, des ingénieurs, et peut-être « Cédric Villani », souffle l’homme-produit.
Et cette cathédrale idéale ? À quoi ressemblera-t-elle ? L’homme-oracle a son idée :« C'est celle qui va vous éblouir : mais comment ont-ils fait ? Comment ça tient debout ? Quel est ce miracle ? […] Je veux voir des étincelles dans les yeux des gens éblouis par nous-mêmes. »

Malheureusement pour cette analyse rapide comme le vent, certains points ne sont pas si simples à établir. Pour commencer, Notre-Dame n’est pas morte. Elle a, certes, brûlé, d’une manière si manifestement accidentelle que cette certitude est rappelée tous les jours (sept mégots de cigarette retrouvés, nous apprend BFM TV), mais elle est debout. Par ailleurs, il n’y a peut-être pas besoin d’être croyant pour s’en attrister, mais certains s’en sont réjouis, précisément parce qu’ils croyaient en un autre dieu.

Parlons, maintenant, du simple « talent » de Viollet-le-Duc : le taxidermiste du patrimoine n’a jamais pensé qu’il était un génie. C’était l’époque où on ne faisait pas croire aux gens qu’ils étaient tous géniaux. Il a mis son érudition et son talent au service de l’ancien monde et de sa reconstruction fantasmée. On a dû le traiter de plouc à son époque, moquer lourdement la façon dont il replâtrait les ruines. Peu importe, les résultats sont toujours là, partout en France. À l’inverse, les génies de l’architecture qui ont laissé des traces chez nous depuis 1945, certains de leur apport singulier à notre pays, n’ont littéralement su faire que des baies vitrées ou des constructions pour enfants (Beaubourg, la pyramide du Louvre, les colonnes de Buren, etc.).

Voilà ce qui arrive quand on préfère le bon (facile, donc rapide, racoleur, moderne, sans âme) au beau (difficile, donc pérenne, rare, daté, plutôt splendide que magnifique). Mais l’homme-projet ne nous avait-il pas prévenus : « Le populaire est élégant et le rare, vulgaire » ?

Les bâtisseurs de Notre-Dame, qui n’avaient effectivement pas de prétentiard « prérequis culturel », mais étaient à la fois chrétiens et compagnons, ont fait entrer leur œuvre collective dans le domaine du génie. Aucun petit créateur n’a alors voulu laisser son nom à une interprétation acrobatique, dont les gens se seraient demandés, tout esbaudis, comment elle tenait debout. Le plus important était l’harmonie, pas un prétendu « miracle » humain, qui rappelle, au passage, l’antique suggestion de l’Adversaire (« Vous serez comme des dieux »).
Laissons le dernier mot à un autre artiste.

À la question de savoir pourquoi on ne pourrait plus rebâtir de cathédrales, Heinrich Heine répondait : « Parce que ceux qui ont fait cela avaient des convictions. Nous, nous avons des opinions. Et on ne bâtit pas une cathédrale avec des opinions ». La conviction, c’est à la fois très humble, intemporel et très clivant, comme la religion qui a suscité et permis Notre-Dame de Paris. L’opinion, c’est immodeste, au goût du jour et rassembleur. Comme une flèche « adaptée aux enjeux de notre époque ».

Arnaud Florac
Arnaud Florac
Chroniqueur à BV

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