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Marie de Greef-Madelin et Frédéric Paya, journalistes à Valeurs actuelles, viennent de publier un livre sur l'excès de zèle français en matière de lois et réglementations. Ils ont bien voulu répondre aux questions de Boulevard Voltaire.

 

On a tendance à mettre cette législation très contraignante sur le dos de l’Europe, mais en lisant votre livre, on se rend compte que la France est, en réalité, très zélée, plus royaliste que le roi dans ce domaine…

En matière de normes, Bruxelles se mêle de tout. De la définition des toilettes au pommeau de douche, en passant par n’importe quel article de robinetterie pour lequel est fixé le débit d’eau maximal et minimal, à la pizza napolitaine qui, selon la Commission, doit mesurer « un maximum de 35 centimètres, avec un bord surélevé de 2 centimètres et une partie centrale d’une épaisseur de 0,4 centimètre avec une tolérance de 10 % ». Et que dire du secteur agricole ! De la naissance des bêtes (deux boucles obligatoires, une à chaque oreille) au carnet de vaccination en passant par les livres d’alimentation et de suivi médical, un éleveur de bovins, ovins, caprins ou porcins a plus d’obligations qu’un père de famille ! Et encore, on ne vous parle pas de la réglementation sur les engins agricoles. Un député européen nous confiait que sa première mission à Bruxelles portait sur la standardisation de la taille des rétroviseurs des tracteurs… Soit.

Mais ce qui fait moins rire, c’est lorsque la France va au-delà des exigences de Bruxelles. Exemple : là où Bruxelles impose un régime strict d’enregistrement des élevages de porcs à partir de 2.000 bêtes, la France a abaissé ce seuil à 450 animaux. Et comment expliquer que des producteurs de tomates puissent utiliser des néonicotinoïdes en Espagne et pas en France ? Ou que les producteurs français de cerises soient privés de diméthoate, un insecticide contre la mouche susukii, alors que ce produit est autorisé dans les autres pays ? Tout ceci crée des distorsions de concurrence au sein même de l’Union, qui explique que la France ait perdu sa place de première puissance agricole européenne.


On comprend bien que ce matraquage législatif pèse sur l’économie. En dehors du secteur agricole, quel est le secteur le plus touché ?

Le poids des normes est devenu insupportable dans le secteur du logement. Entre 2007 et 2017, pas moins de 5.000 normes ont été créées. Si vous interrogez les promoteurs, ils vous disent tous que cette inflation est responsable de la flambée des prix des logements. À elles seules, les normes Bâtiment Basse Consommation et RT 2012 relatives à l’isolation, la résistance à l’air, les surfaces vitrées, l’utilisation des énergies renouvelables, a renchéri le coût de construction de 35 % en dix ans. Sans compter le coût relatif aux normes d’accessibilité et de parkings… Au final, construire des logements neufs, en France, coûte 23 % plus cher que dans le reste de l’Union européenne. En Belgique, les coûts de construction sont inférieurs de 17 %. Pourquoi ? Parce que les normes sont moins drastiques et, peut-être, aussi, parce que la vanité de la classe politique y est moins grande !

En France, chaque ministre du Logement aime créer une loi qui porte son nom. Souvenez-vous de Cécile Duflot, à l’origine de la loi ALUR sur l’encadrement des loyers, et de la loi Duflot. « Je suis quelqu’un qui aime les normes », avait-elle déclaré. Cela avait choqué jusqu’à Erik Orsenna, qui la cite dans son roman Les Vérités fragiles. Tout cela pour quel résultat économique ? Lorsque Cécile Duflot a quitté le ministère en 2014, seuls 300.000 logements neufs avaient été construits en un an alors que l’objectif gouvernemental était de 500.000.

 

On découvre un « business » de la réglementation. Est-ce pour ne pas lui nuire que les gouvernements successifs ont renoncé à élaguer ce maquis législatif ?

En effet, il existe un véritable business ; ceux qui élaborent les normes prennent un malin plaisir à les rendre illisibles. Mais les gouvernements, et plus généralement les politiques, sont bien plus responsables de cette inflation normative. Et ce, pour plusieurs raisons. Il y a déjà le terreau de la formalisation dont la France est particulièrement friande. À cela s’ajoute le monde qui change constamment qui oblige certaines réglementations à évoluer ou s’adapter. On pourrait citer, également, le principe de précaution qui a fait dire à Christian Perret que la France avait une « approche administrativo-prudentielle ». Et puis, il y a les réponses législatives aux émotions nationales. C’est le cas des députés qui, à la suite d’une attaque de chien, en 2007, ont voulu faire une loi ad-hoc, sauf qu’il en existe une sur les chiens dangereux datant de 1999. Sans compter les conséquences des alternances politiques qui défont ce que la majorité précédente a échafaudé. Le cas des heures supplémentaires défiscalisées est un merveilleux exemple : créées sous Sarkozy, elles ont été annulées par Hollande puis réintroduites par Macron après la crise des gilets jaunes. On pourrait encore parler de la multiplication des producteurs de normes à tous les échelons (national, régional, départemental et local). Enfin, mais dans une moindre mesure, contrairement à la croyance populaire, la transposition des règlements européens.

 

Quelles seraient, selon vous, les trois premières normes ou réglementations à supprimer pour desserrer l’étau ?

Il y a une multitude de réglementations inutiles à supprimer parmi les 400.000 normes, 125.000 décrets, 10.500 lois et 320.000 articles. Ce n’est, d’ailleurs, pas pour rien que la Chine surnomme la France « le pays de la loi » ! Cela dit, il y a urgence à simplifier car ce maquis réglementaire coûte énormément d’argent : 3 points de PIB, soit 60 milliards d’euros par an ! À ce propos, un économiste disait, et à raison : « Pour creuser le déficit commercial de la France, mieux vaut une petite norme qu’une grande pelle ! »

Plus qu’une norme en particulier, il faudrait surtout dire à nos dirigeants que la France a surtout besoin de stabilité, notamment en matière fiscale. L’association Génération Entreprise a, ainsi, calculé que sous le quinquennat de François Hollande, 429 lois avaient modifié le cadre législatif. Elle avait, notamment, calculé qu’un tiers des articles du Code général des impôts avaient été modifiés, ce qui pose un problème majeure de visibilité aux entreprises.

Sinon, il existe une multitude de petits articles dans le Code du travail qui font davantage sourire qu’ils n’ont de vertu incitative. Ainsi, le législateur avait-il besoin de préciser, dans l’article D4152-8, qu’il était interdit d’employer une femme enceinte ou allaitante aux travaux à l’aide d’engin de type marteau piqueur mus à l’air comprimé ?

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02 mars 2020 à 18:16

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