Lombardie : le confinement, une arme de punition massive

Attilio Fontana, président de la région Lombardie
Attilio Fontana, président de la région Lombardie

La gestion italienne de l’épidémie de Covid-19 est à peu près aussi ubuesque et erratique que la nôtre, à ceci près que le pouvoir des institutions locales, c'est-à-dire des régions, est bien plus important chez eux que chez nous, en raison du poids de l’Histoire. L’unité italienne ne date que de 160 ans, quand l’unification de notre pays remonte aux premiers temps de la royauté. Les vingt régions italiennes partagent donc leurs compétences avec l’État central, notamment en matière de gestion des hôpitaux, de la santé, des transports. Et disons le tout de go, il vaut mieux être soigné à Milan qu’à Caserte ! Ce qui n’enlève rien au charme et à l’attrait du Sud, qui a d’autres atouts.

Or, quinze régions italiennes sur vingt sont gouvernées par une coalition de partis de droite - Ligue, Frères d’Italie et Forza Italia - quand l’exécutif central est détenu par une coalition de gauche, Parti démocrate et Mouvement 5 étoiles. On vous laisse deviner les multiples frictions entre Rome et les régions que la gestion de la pandémie a suscitées ; forcés de collaborer avec Giuseppe Conte, le chef du gouvernement, les gouverneurs des régions du Nord, dont les « barons » de la Ligue Luca Zaia (Vénétie) et Attilio Fontana (Lombardie) se sont maintes fois insurgés contre des décisions extrêmement restrictives condamnant à la fermeture commerces et entreprises de ces régions, parmi les plus riches d’Italie.

Dernière polémique en date : il y a une semaine, sur la foi d’un indice de contagion trop élevé, Rome a décidé par décret de mettre la Lombardie en zone rouge, la contraignant à un confinement quasi total. Très vite, le gouverneur de la région et son assesseur à la Santé voient que les chiffres ne tournent pas : ils demandent une suspension de 48 heures de cette mesure à des fins de vérification, ce que le gouvernement commence par refuser. Portant alors l’affaire devant le tribunal administratif régional, Attilio Fontana met l’affaire sous le feu des projecteurs. Et là, miracle : l’Institut supérieur de la santé, organe central, rectifie et abaisse ce fameux indice de contagion, faisant passer la Lombardie en zone orange, ce qui permet la reprise de nombreuses activités… dont l’école qui peut rouvrir partiellement.

En l’espace d’une semaine, plusieurs centaines de millions d’euros – on parle de 200 millions d’euros pour la seule ville de Milan - ont été perdus dans ce que l’on nomme souvent le poumon économique de l’Italie, lui portant un préjudice considérable.

Que s’est-il passé ? Une erreur statistique établie à partir de chiffres erronés de la région Lombardie, clame le gouvernement, qui ne voudrait quand même pas, en pleine crise politique et institutionnelle, que la punition « zone rouge » n’apparaisse comme une mesquine manœuvre politique contre la Ligue de Matteo Salvini, même si ça y ressemble fortement… Attilio Fontana, de son côté, maintient sa plainte devant le tribunal administratif afin de clarifier la situation : comment, pour calculer un indice de contagion, un algorithme a-t-il pu prendre en compte les malades, mais aussi ceux qui sont guéris ?

En fin de compte, « ce n’est peut-être la faute de personne », conclut le gouverneur de la région Lombardie.

Reste que la question soulevée par cette affaire est d’importance : depuis un an, comment et pourquoi a-t-on laissé des chiffres, des statistiques ici faussées par un jeu d’algorithmes défaillants, devenir l’alpha et l’oméga de toutes les décisions politiques, aux conséquences sociales, économiques et humaines souvent dévastatrices ?

À la veille d’un troisième confinement, il serait temps que ce genre de questionnement s’invite dans le processus de décision du gouvernement, de ce côté-ci des Alpes.

Marie d'Armagnac
Marie d'Armagnac
Journaliste à BV, spécialiste de l'international, écrivain

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