Libération : 50 ans et plus vraiment toutes ses dents…

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Fondé le 18 avril 1973 par Serge July, sous les auspices de Maurice Clavel, intellectuel passé du Parti populaire français de Jacques Doriot au maoïsme de stricte observance, et de Jean-Paul Sartre, à l’itinéraire plus sinueux encore, le quotidien Libération fête, ce mardi, son demi-siècle.

À l’origine une simple agence de presse d’obédience maoïste, elle aussi. À l'époque, c’est la mode. Et Libération a fait vœu de rester à l’avant-garde. Aux débuts, pas de grille de salaires : tout le monde touche le même, du grouillot jusqu’au petit timonier ; Serge July, donc. Autre grille alors en vogue à l’époque, celle de la lutte des classes. Ce qui se vérifie lors de la sordide affaire de Bruay-en-Artois, quand la découverte du cadavre d’une adolescente, Brigitte Dewèvre, abandonné dans un terrain vague, amène aussitôt à la mise en accusation du notaire local, Pierre Leroy, et de sa maîtresse, Monique Béghin-Mayeur. Puisqu’ils sont moins pauvres que les pauvres, ils sont riches. Et coupables. CQFD.

Un positionnement radical qui emmène ce journal, nageant parfois en eaux troubles, vers les rives de l’ultra-gauche d’obédience situationniste.

Le 21 février 1981, Libération dépose le bilan, incapable de faire face à ses dettes, avant d’être sauvé des eaux, tel Boudu, par un certain François Mitterrand. Lui, en vieux roublard, se méfie du Monde tout en sachant que Le Matin de Paris (quotidien alors officieux du PS) n’est pas en très bonne forme financière. Résultat ? Le 13 mai, Libération fait peau neuve. Il n’est alors plus question de salaires égalitaires ou de cogestion prolétaire : le nouveau Président a veillé à ce que ses amis, à la fois de gauche et capitaines d’industrie, remettent le vilain petit canard dans le droit chemin. Et Serge July en devient alors le patron incontesté.

L’homme ne manque pas de qualités. Il écrit bien, n’a pas son pareil pour diriger une équipe ; mieux : il a un sens inné de la presse écrite. D’où ces titres à jeux de mots, exercice dans lequel il parvient même à supplanter Le Canard enchaîné. Lors de la rencontre historique entre Mikhaïl Gorbatchev et le pape Jean-Paul II, cette simple une, « Urbi et Gorbi », suffit à démontrer un talent hors pair.

À l’époque, la rédaction suit. Sans ses pages culturelles, jamais des plumes telles qu’Arnaud Viviant ou Éric Dahan n’auraient vu le jour. Mais le point fort, ce sont les reportages à l’étranger. Christophe Ayad, Sorj Chalandon et Christophe Boltanski rivalisent alors de courage physique et de points de vue géopolitiques, tous plus finauds les uns que les autres. Le Figaro peinera à rattraper son retard en la matière.

Mais tout se gâte en 1990, avec la première guerre du Golfe. Serge July appuie alors l’équipée américaine en Irak, tandis que ses journalistes, présents sur le terrain, demeurent vent debout contre l’impérialisme US, leur ADN politique d’origine. Puis il y a le référendum de Maastricht, deux ans plus tard ; sans oublier l’introduction des pages boursières, quelques mois plus tôt. Comme toujours, Serge July est derrière cette révolution copernicienne.

Et c’est là, en 1993, avec un invraisemblable « Libé 3 », aussi épais et illisible qu’un Bottin™ des PTT, que le vaisseau commence à prendre l’eau. Car malgré ses indéniables qualités, ce journal n’a jamais été rentable. Édouard de Rothschild ne manque pas de le faire savoir à Serge July, rachetant son bébé, la chair de sa chair, en janvier 2005. Depuis ? Une interminable descente aux enfers.

Car Libération (96.500 exemplaires vendus, en moyenne, en 2022) a vieilli avec son public sans jamais avoir véritablement réussi à le renouveler ; ce qui n’est pas le cas du Monde ou du Figaro. Pis : ce n’est même plus un enjeu de pouvoir, tels les deux titres précités. Juste une curiosité qu’on visite en bâillant, dans un de ces musées poussiéreux et consacrés à une rétrospective du lacet à travers les âges. Joyeux anniversaire quand même à Libération qui n’a jamais aussi mal porté son nom qu’aujourd’hui.

Nicolas Gauthier
Nicolas Gauthier
Journaliste à BV, écrivain

Vos commentaires

13 commentaires

  1. Marrant tout de même, ce qu’ont pu devenir « La Cause du Peuple » et la Gauche Prolétarienne »…sic transit gloria mundi, comme dirait l’autre…

  2. « Libération » n’est qu’une péripétie post soixante-huitarde, dont la disparition n’aurait plus aujourd’hui aucun impact, hormis chez quelques indécrottables… DE PROFUNDIS me semble plus approprié que « bon anniversaire ».

  3. Merci Monsieur Nicolas Gauthie de remettre les pendules à l’heure sur ce qu’est « Libération »…
    Organisme de propagande allant du rose pâle au rouge vif en passant par le vert-de-gris, tout est bon pour les très généreuses subventions qui permettent à ce « journal » d’exceller dans la désinformation.
    À propos, « Libération » combien de lecteurs ?

  4. La presse et encore plus celle d’opinion c’est un peu la Samar de mon adolescence où le lecteur comme les parisiennes viennent chercher tout ce qu’ ( ils, elles ) aiment et sont ( surs, sures ) de trouver. Pour les plus jeunes, une sorte de fentanyl. Serge, l’historique directeur en était un à l’ancienne du type vas-y-coco avec cigare et bretelles, ayant quitté la scène avant la mise en lumière du déplacement gestuel,vrai ou recouvert par une salutaire poussière temporelle et tout-à-fait normal à l’époque. July et zo.. en quelque sorte.

  5. Serge July ou comment l’Idéologie prime sur la vérité ( « libération « de Phnom Phen et de Saïgon !!!! on a vu comment ça c’est terminé )

    • Et l’avènement de l’islamisme en IRAN en février 1979 salué par July et Kravetz et Foucault?

  6. C’est sûr qu’il était mieux lisible du temps où il nous apprenait à confectionner des cocktails Molotov et autres artifices , mais quelle place il a prise dans la dégradation du pays en tous domaines . . . sauf intellectuel .

Commentaires fermés.

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