L’euro aurait fait perdre 56.000 € par Français en vingt ans !

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Une étude récente vient de jeter un pavé dans la mare : l’euro aurait fait perdre 56.000 € par Français en vingt ans. Avant de s’affoler et de rêver à ces 56.000 € qu’on aurait pu dépenser si la monnaie unique n’avait pas été adoptée, revenons à la façon dont l’enquête a été menée, et regardons ce qui se cache derrière ce chiffre de 56.000 €.

D’abord, les auteurs de l’étude reconnaissent eux-mêmes qu’elle est empirique. Ils ont reconstitué l’évolution des PIB de chacune des nations participant à l’euro si elles n’avaient pas adopté la monnaie commune, en utilisant des algorithmes, en se fondant sur ce qui s’était produit dans le passé et en tenant compte de l’évolution des pays restés à l’écart de l’euro.

Rien ne dit que, dans la réalité, tout se serait passé ainsi ! On peut même en douter sérieusement : les auteurs de l’enquête ont utilisé les mêmes algorithmes qui servent à anticiper l’évolution du PIB de l’année suivante ; or, il y a toujours une différence entre les prédictions et les chiffres réels (de l’ordre de 0,2 % à 0,5 %). Le décalage entre l’évolution sur vingt ans et la réalité serait, sans doute, énorme au point que les chiffres annoncés par l’étude n’ont guère de sens.

Si la France n’avait pas opté pour l’euro, elle aurait sans doute, depuis vingt ans, connu une à deux dévaluations qui auraient dopé sa compétitivité, renchéri les importations, ce qui aurait favorisé la consommation de produits fabriqués en France, mais augmenté sensiblement le coût de l’énergie.

Selon l’étude, le PIB des Allemands et des Néerlandais aurait moins progressé sans l’euro (–24.000 € et –21.000 € par personne), celui des Grecs serait le même. Il y aurait eu peu de différences pour les Belges et les Espagnols, mais les Portugais ont perdu 40.000 euros, les Français 56.000 € et les Italiens 70.000 €. Les gains entre pays ne compensent pas les pertes. La monnaie unique bride plus ou moins fortement la croissance pour 80 % de ses utilisateurs.

Que chaque Français ait perdu 56.000 , signifie que la somme des différences de PIB a, sur vingt ans, atteint 3.600 milliards. Ce chiffre paraît effrayant, néanmoins un rapide calcul montre qu’il correspond à une perte de 0,3 % de croissance en moyenne par an, ce qui n’est pas rien quand le PIB croit généralement à 1,5 % par an, mais n’est pas une déroute. D’autre part, nous ne serions pas vraiment plus riches individuellement si nous avions refusé l’euro. Sans doute la France serait moins endettée et, donc, le gouvernement aurait plus de marges de manœuvre pour la redistribution. Mais nous n’aurions pas, chacun, 56.000 € de plus sur notre compte en banque. D’autres nations ont un niveau de vie équivalent au nôtre avec un PIB par habitant largement inférieur ou largement supérieur. Le produit intérieur brut est déconnecté de la richesse individuelle.

Faut-il supprimer l’euro ? Son abandon induirait, sans doute, une grave crise économique : le PIB des nations qui reviendraient à une monnaie nationale se contracterait fortement avant de rebondir un peu. En fait, la monnaie unique est comme un train sans frein. Il aurait mieux valu ne pas monter dedans, mais une fois qu’on est à bord, il faut patiemment attendre que le convoi s’immobilise de lui-même. On risquerait sa vie à sauter en marche.

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Christian de Moliner
Professeur agrégé et écrivain

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