Les réseaux sociaux vont-ils maintenant battre monnaie ?

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Facebook va lancer, à l’horizon de 2020, une crypto-monnaie, le Libra. Jadis, le pouvoir de battre monnaie était devenu un privilège régalien, arraché de haute lutte aux grands féodaux qui voyaient dans l’indépendance monétaire une façon de relativiser l’allégeance due à leur souverain.

Une monnaie, c’est un instrument qui sert à fluidifier les échanges de biens et de services en jouant le rôle d’une contrepartie commune et acceptable par tous : donner un nombre convenu de monnaie à un marchand contre une salade et des légumes. C’est aussi l’étalon des valeurs qui nous permet de dire qu’aujourd’hui, le prix des tomates est plus élévé que fin août l’an dernier ou que le prix du m² est plus élevé à Paris, département de la Seine, qu’à Aubusson, dans la Creuse. Et, enfin, la monnaie est une réserve de valeur : un jeune va épargner une partie de ses premiers revenus avant de s’acheter son premier appartement. Pour faire tout ça, les monnaies sont des créances. Avant, c’étaient des créances sur une banque centrale qui détenait en réserves d’or la contre-valeur de ces monnaies en circulation. Maintenant que cet étalon n’existe plus que dans les mémoires des vieux schnocks passéistes, ce sont des créances sur la capacité des États de lever des impôts futurs pour financer les déficits des banques qui boiront la tasse dans l’octroi de financements hasardeux (cf. Gaël Giraud, Illusion financière).

Maintenant, il y a l’émergence des crypto-monnaies, comme le Bitcoin, qui utilisent la « blockchain », se passent des États et s’affranchissent des circuits bancaires normaux : elles existent parce que des personnes ont confiance en elles. Des réseaux d’ordinateurs partageant un même algorithme permettent d’établir un consensus sur qui détient quoi et combien est transféré de qui à qui. Cette activité est un désastre écologique intrinsèque, et les mafias ont bien compris l’intérêt d’un tel outil pour le blanchiment d’argent sale. Mais elles répondent à une préoccupation légitime : les États ne sont-ils pas devenus trop faibles et incapables de gérer correctement leur propre monnaie ? Ou, plus simplement résumé : peut-on encore faire confiance aux États ? Répondre oui est bien téméraire, répondre non n’indique pas à qui faire confiance.

Il n’est pas question de faire à quiconque, ici, un procès en vertu monétaire ni au pénal, ni surtout en canonisation. Pas plus les États que les grandes banques ou entreprises ne seraient faciles à disculper, et la longueur des casiers judiciaires respectifs n’est instructive que pour des historiens. La monnaie est un instrument du pouvoir et la compromission l’entoure inéluctablement. Le transfert de ce pouvoir monétaire a déjà commencé du domaine régalien vers le monde des intérêts privés.

Quand Facebook s’associe sur ce projet Libra avec de très nombreux et puissants alliés parmi les entreprises mondialisées, peut-être ne faut-il voir rien d’autre qu’un ordre de mobilisation pour une bataille qui pourrait être décisive. Deux questions essentielles se posent dès lors. Comment mesurer, en matière monétaire, la défiance/confiance à éventuellement accorder à des États ou à des intérêts privés représentés par une mutualisation des plus puissants d’entre eux – entre autre ceux qui ont une connaissance intime de nos émotions et de nos intérêts ? Ensuite, ces intérêts privés peuvent-ils se mettre au service de ce « bien commun » que devrait être une monnaie ?

Peut-être serait-il temps que les pouvoirs régaliens d’assez de pays qui comptent se mettent d’accord pour déterminer des seuils au-delà desquels ces grandes sociétés, dont les GAFAM, deviennent des « concurrents » déloyaux par nature et trop dangereux de par leur puissance ? Et qu’ils fassent respecter ces seuils, quitte à démanteler ce qui pourrait/devrait l’être… À moins qu’elles ne soient déjà devenues des « too big to jail », trop grosses pour être enfermées ? Sinon, les États se résigneront à devenir les esclaves de ces intérêts privés, certes en préservant quelques apparences.

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