Les Français se méfient des journalistes : ont-ils raison ?

Plateau Télé

Tout journaliste, même s'il s'efforce d'être objectif, est plus ou moins influencé par sa formation, sa culture, ses convictions politiques, philosophiques, religieuses... Sa qualité première, c'est d'être intellectuellement honnête, du moins, de chercher à l'être. Est-ce toujours le cas ? Un sondage réalisé pour les Assises internationales du journalisme, en partenariat avec Le Journal du dimanche, France Médias Monde, France Télévisions et Radio France, apporte un éclairage sur cette question fondamentale dans un régime démocratique.

Si 91 % des Français jugent que le journalisme est utile, ils ont des exigences à l'égard des journalistes et des médias. Ils attendent, notamment, qu'ils vérifient les informations fausses, les rumeurs, la désinformation, dans une proportion de 66 %, tandis que 64 % estiment qu'ils sont trop proches du pouvoir et des élites politiques et économiques. Les sondés pensent, à 77 %, que les médias privilégient les informations sensationnelles ou la violence et, à 74 %, qu'ils ne donnent pas la parole à tous les points de vue de manière équitable.

Au XIXe siècle, Alexis de Tocqueville, l'un des penseurs de la démocratie, expliquait que "la souveraineté du peuple et la liberté de la presse sont […] deux choses entièrement corrélatives". La démocratie suppose, en effet, non seulement le droit de vote (de nombreuses dictatures accordent ce droit), mais aussi la possibilité d'exercer, au moment du vote, son jugement politique de manière éclairée. On comprend donc la tentation, pour un gouvernement, notamment s'il se croit détenteur de la vérité, d'exercer une mainmise sur les médias.

On peut se référer à 1984, de George Orwell, un classique toujours actuel, pour percevoir comment un pouvoir peut chercher à contrôler les faits et gestes, voire les pensées de toute une population, instaurer un ministère de la Vérité, réécrire l'Histoire pour avoir toujours raison. Mais il n'est pas besoin d'en arriver à cette extrémité pour manipuler le peuple. Il suffit de lui faire croire qu'il est librement informé, sans lui donner les véritables moyens de se forger un jugement.

Quand Emmanuel Macron, dans ses vœux à la presse en 2018, annonce vouloir "faire évoluer notre dispositif juridique pour protéger la vie démocratique [des] fausses nouvelles", quand, dans sa lettre aux citoyens d'Europe, il propose que soit créée une "Agence européenne de protection des démocraties", il ne fait rien d'autre que de désigner un supposé ennemi de la liberté, qui doit être à tout prix combattu pour le bien général. C'est avec ce genre de bons sentiments qu'on crée les conditions d'une dictature qui s'affuble des oripeaux de la démocratie.

Quand Franck Riester, le ministre de la Culture, annonce, dans le JDD, une réforme ambitieuse de l'audiovisuel "qui doit répondre de manière urgente aux dangers qui guettent un paysage audiovisuel marqué par de profondes mutations et révolutions", on ne peut qu'être inquiet sur le contenu de ce projet de loi. Toutes ces réformes, qui prétendent sauvegarder la liberté et le pluralisme de l'information, pourraient contribuer, au contraire, à imposer toujours davantage une pensée unique, déjà bien présente.

La meilleure façon de se faire une opinion, c'est de varier ses sources et s'efforcer de penser par soi-même, sans se laisser séduire par les sirènes de la bien-pensance. Depuis quelques mois, certaines chaînes d'information en continu font l'effort d'inviter sur leurs plateaux des personnes qui ne s'inscrivent pas dans le même moule intellectuel. Plus rares sont les animateurs de ces débats qui savent faire preuve d'impartialité. Mais le pire, pour un journaliste, ce n'est pas la partialité, facilement décelable, c'est de se croire libre en étant le transmetteur du conformisme.

Philippe Kerlouan
Philippe Kerlouan
Chroniqueur à BV, écrivain, professeur en retraite

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