Le Journal de Tintin fête ses 77 ans !

Journal-Tintin

Tintin, le journal des 7 à 77 ans, aurait aujourd’hui… 77 ans. D’où la publication de cet épais volume de près de 400 pages, coédité par Le Lombard et Moulinsart. Lancé en Belgique en septembre 1946, cet hebdomadaire cesse sa publication en novembre 1988. En ces années lointaines, le Journal de Tintin a deux rivaux : celui de Spirou – qui existe encore –, puis Pilote. La spécificité de ces trois publications plébiscitées par la jeunesse d’alors ? Les histoires à suivre, dans la tradition des feuilletons d’autrefois. Chaque semaine, une page ou deux s’achèvent sur un insoutenable suspense et puis… et puis, il faut encore attendre sept jours pour en connaître un dénouement se concluant sur un autre rebondissement. Et ainsi de suite, jusqu’au mot « fin ».

À y bien réfléchir, cette école répétée de la patience et de la frustration aura beaucoup fait, au siècle dernier, pour l’éducation des enfants, à rebours de l’actuelle tyrannie de l’immédiateté. On notera qu’à l’époque, Pif, lui aussi disparu, joue la contre-programmation en publiant des récits complets ; faut-il y voir une première trahison sociétale de ce journal détenu par le PCF ? Ne poussons pas jusque-là le bouchon et revenons-en plutôt à la rivalité historique entretenue avec son homologue Spirou.

Spirou contre Tintin : la guerre des boutons

Dans les cours de récréation, c’est une nouvelle guerre des boutons. Tintin contre Spirou ? Un conflit inexpiable dans lequel il n’y a pas de prisonniers, comme viendra plus tard celui opposant fans des Beatles à ceux des Rolling Stones. De fait, ces deux héros ne sont pas de même nature.

Spirou est la propriété de son éditeur, Dupuis. Tintin de son créateur, Hergé. Spirou a donc pu connaître mille autre vies ; mais Tintin, non ; son père de papier ayant décidé de manière testamentaire, avant de rendre l’âme au grand scénariste et dessinateur de toutes choses, le 3 mars 1983, que sa créature ne lui survivrait pas. Voilà qui peut se comprendre, le défunt Gérard de Villiers ayant fait de même avec son épigone littéraire, le prince Malko Linge, plus connu sous l’acronyme de SAS.

A contrario, Edgar P. Jacobs, autre pilier historique du journal Tintin, permet à d’autres que lui de continuer à faire vivre Blake et Mortimer. Ce qui explique pourquoi, dans ce magnifique album censé célébrer Tintin et son journal, il y ait un absent de taille : le reporter du Petit Vingtième. Pour autant, si ce dernier n’est plus et quoique éternel célibataire, il nous a légué de nombreux enfants, tous ici mis à l’honneur.

La liste est longue, mais ne citons que les principaux : Blake et Mortimer, donc. Mais aussi Michel Vaillant, (pilote de course), Ric Hochet, (détective), Chlorophylle (lérot), Thorghal (Viking venu de l’espace), Olivier Rameau (poète à canotier), Bernard Prince et Bruno Brazil (aventuriers à cheveux blancs), Dan Cooper (aviateur), Cubitus (chien), Ringo (cow-boy), Bob et Bobette, Jo et Zette (frères et sœurs), Buddy Longway (trappeur), tous ici transportés dans de nouvelles et courtes aventures en forme d’hommage, par de plus jeunes dessinateurs. Soit une sorte de passage de témoin générationnel de fort bon aloi.

Et la question du féminisme ?

Inutile de préciser que ce recueil volumineux est un quasi sans faute ; même si, concession à la modernité oblige, il y a cet article consacré à « la longue épopée des femmes du journal Tintin », qui nous rappelle que dès les origines, la bande dessinée belge était bien moins « patriarcale » qu’on ne pourrait le croire. Il y a celles qui écrivent les histoires du Chevalier blanc, Lilian Funcken, que dessine son Fred de Mari, et une certaine Claire Bretécher, dont les premiers dessins sont publiés dès… 1965 ! Mais tout cela, depuis l’arrivée en fanfare de Yoko Tsuno ou Natacha dans la bande dessinée européenne, les amateurs savaient que, blondes ou brunes, les filles ne comptaient déjà pas pour des prunes.

De fort bonne tenue, cet ouvrage est évidemment à conserver en bonne place dans toute bibliothèque digne de ce nom, puisque redonnant un peu de magie là où l’on aurait pu croire que la source était tarie.

PS : à destination d’éventuels grincheux, on notera (en page 62) une scène de sexe au bord de l’explicite entre Alix, la créature du grand Jacques Martin, et une fort jolie demoiselle. Après des décennies de polémiques, nous savons enfin qu’entre ce héros emblématique et son jeune compagnon égyptien, Enak, il ne se passait rien.

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Nicolas Gauthier
Journaliste à BV, écrivain

Vos commentaires

13 commentaires

  1. Je termine ma soixante dix huitième année en octobre, j’ai donc 77 ans révolus jusque là, aurai-je encore le droit de le lire passé cette date….?

  2. On notera que si Tintin est destiné à un public très large … de 7 à 77 ans, il peut se découvrir à tout âge, mais une relecture à l’âge adulte permet d’accéder à un autre degré de lecture plus « historique ».

    • Ma petite fille de 9 ans dévore littéralement tous les Tintin ( de ma bibliothèque) depuis un an. Lus en moins d’une heure, Relus aussitôt la pile finie. (quand son frère lui fiche la paix…)
      Pour moi, c’était le régal de mes cours de piano: Une pièce bibliothèque réservée chez ma prof, délicieuse vieille fille organiste de la cathédrale de Chalon (/ Saône) et fille d’un officier baroudeur d’indochine ; Durant le cours de ma soeur : Bach, Bach, Bach, et re_Bach ;Chopin au dessert. Le bol d’air de nos années de pensionnat 11-14 ans

  3. C’est vrai que l’apprentissage de la patience est important et même celui de la frustration. Je me souviens qu’une de mes tantes m’avait abonnée à Fillette et une autre fois à Lisette en cadeau de Noël. Il y avait toujours dans ces hebdomadaires un roman pour enfants sous forme de feuilleton. Dans ces journaux, il ne s’agissait pas de bandes dessinées bien qu’ils en contenaient également. Malheureusement mon abonnement prenait toujours fin avant le dénouement de l’histoire. Cela reste malgré tout de très bons souvenirs.

  4. Je dois me faire vieux… Fervent lecteur d’Hergé dans mon jeune temps et encore maintenant, pour « retrouver le bon temps » et lire à mes petits-enfants, j’avoue ne m’être jamais posé la question d’une éventuelle relation coupable entre Alix et Enak !

    • Rassurez-vous, vous n’êtes pas le seul. J’ajouterai même que c’est plutôt une preuve de bon sens (qualité de plus en plus rare chez nos contemporains). J’espère que vos petits-enfants on autant de plaisir que nous à découvrir cet univers, bien éloigné de notre époque devenue complètement folle.

  5. Le journal de Tintin que je lisais chaque semaine fin des années 50, c’était autre chose que pilote, mickey ou pire pif gadget et même spirou qui ne m’a jamais attiré; et ça reste toujours autre chose: Tintin, Blake et Mortimer et Alix, des monuments de la Bande Dessinée, rien à voir avec la BD qui a suivi.

    • Il en faut pour tous les goûts, mais clairement, Pif Gadget ne boxait pas dans la même catégorie. Par contre, pour « la BD qui a suivi », il y des œuvres immenses à découvrir dans la période plus récente. François Bourgeon (Les passagers du vent, les Compagnons du crépuscule, le Cycle de Cyan), Loisel et Letendre (la Quête de l’Oiseau du Temps, Peter Pan), Canales et Guarnido (Black Sad), Bilal (Partie de chasse. Un monument incontournable !) Dufaux et Nicaise (Sang-de-Lune), Vance et Van Hamme (XIII, série devenue malheureusement une usine à cash), Comès (Silence, la Belette), … liste non exhaustive. Le mensuel « A suivre » (éd. Casterman) n’a pas été cité et c’est une injustice.

  6. Par contre,dans la boutique d’en face, on ne saura jamais si Demaesmaker a réussi à conclure….la signature des contrats.

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