C'est le gentil petit buzz de ce week-end électoral. Jeudi, une jeune fille de 18 ans interpelle Emmanuel Macron alors qu’il était en déplacement dans le Tarn. La vidéo a, depuis, été vue des millions de fois. Face au président de la République, Laura pose clairement sa question : « Vous mettez à la tête de l’État des hommes qui sont accusés de viol et de violences pour les femmes, pourquoi ? » La réponse d'Emmanuel Macron, visiblement gêné, tourne autour de la « présomption d’innocence ». Jusqu'ici, tout va bien : notre lycéenne n'est ni hargneuse ni grossière. Et sa question, après tout, est justifiée : le Président et une partie des médias n'ont d'yeux accusateurs que pour les violences sexuelles faites aux femmes. Emmanuel Macron en a fait la « grande cause de son quinquennat ». Autre réalité avérée : oui, deux ministres actuels, l'un ancien (Darmanin), l'autre nouveau (Abad) ont été accusés de telles violences. Simplement accusés. Et la jeune fille n'a pas dit autre chose. Tout comme le Président dans sa réponse. Oui, tout va bien.

Sauf que la petite affaire n'était visiblement pas classée. Vendredi, Laura a reçu la visite des gendarmes dans son lycée. Les gendarmes au lycée ! Je peux vous dire que pour que des gendarmes aient l'autorisation (l'ordre ?) d'aller interroger un élève dans un établissement scolaire, il faut qu'il y ait du très lourd, du très urgent. On peut donc comprendre que Laura ait trouvé cette visite « intimidante », comme le rapporte Le Parisien. « J’étais en cours d’espagnol quand, autour de 11 h 30, la proviseure adjointe est venue me chercher pour parler. À l’extérieur du cours, elle m’a demandé si j’acceptais de parler à des gendarmes », a-t-elle confié au journal. Et l'emballement sur les réseaux sociaux s'est d'abord focalisé sur cette visite disproportionnée de la maréchaussée. Même Jean-Luc Mélenchon a dû rompre la trêve électorale :

Les gendarmes n'ont-ils pas d'autres chats à fouetter, à Gaillac, comme ailleurs ? Fallait-il avoir recours à eux pour préciser à la jeune fille les bons codes pour s'adresser au Président ? Car c'est bien le sens de cette visite telle qu'elle l'a perçue.

Contrairement à la gendarmerie de Gaillac qui a affirmé n'être intervenue que pour recueillir une éventuelle plainte, puisque la jeune fille avait confié, en marge de sa rencontre avec Emmanuel Macron, avoir été victime d’une agression sexuelle dans le RER il y a quatre ans, sans avoir porté plainte. Elle confirme en partie : « Ils m’ont demandé si je voulais porter plainte, mais ça a été très bref. » Mais elle précise que l'essentiel de l'entretien a porté sur son crime de lèse-Président : « On est rapidement venu à l’échange avec Emmanuel Macron. Ils m’ont demandé ce que j’avais voulu faire, alors je leur ai dit que je voulais poser telle question, etc. Puis la gendarme m’a dit : C’était pas à faire. Son collègue a ajouté que si j’avais voulu interpeller le président de la République, alors j’aurais dû passer par des voies hiérarchiques, en écrivant à l’Élysée. » Elle a eu l'impression que les gendarmes étaient venus « à la demande de quelqu’un ». Un préfet désireux de bien faire ? Il se trouve que le préfet du Tarn, arrivé en février dernier, est un certain François-Xavier Lauch. Oui, c'est ça : vous l'avez croisé à l'Élysée, au moment de l'affaire Benalla, où il était chef de cabinet d'Emmanuel Macron, déjà chargé du bon déroulement des voyages présidentiels, avant de devenir directeur de cabinet adjoint de Gérald Darmanin. Le « quelqu'un » de Laura doit bien se situer dans cette zone. Quant au conseil pour s'adresser au Président via la hiérarchie, elle est savoureuse, à l'heure où le même Président prétend sortir de sa verticalité avec son Conseil national de la refondation !

Devant l'emballement des réseaux sociaux, la gendarmerie de Gaillac a été contrainte de s'expliquer et de s'excuser : « Notre action visait simplement à prendre en compte cette personne, qui s’était présentée comme victime, pour lui proposer de recueillir une éventuelle plainte, ou à défaut pour lui proposer une aide, un accompagnement ou un relais pour rencontrer les associations locales pour lui porter assistance. Nous tenons à nous excuser auprès d’elle si notre démarche d’aller à sa rencontre au lycée pour échanger a été mal perçue et qu’elle considère que nous avons été maladroits. » Quelle délicatesse. On ne saura jamais si c'était aussi « à la demande de quelqu'un ».

D'ailleurs nos gendarmes comme nos policiers agissent toujours « à la demande de quelqu'un ». Mais quand il s'agit d'assumer les conséquences des mauvaises demandes du quelqu'un, il n'y a plus personne. Enfin, si : les policiers et les gendarmes. Car entre-temps, Quelqu'un est devenu Personne.

Dans ma petite carrière, j'ai été impressionné par quelques chefs, notamment par leur capacité à endosser certaines bêtises de leurs subordonnés, et parfois à s'excuser pour eux. Visiblement, l'inverse existe aussi.

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12 juin 2022 à 22:00

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49 commentaires

  1. Pauvre police et pauvres gendarmes … toutous de Jupiter alors qu’ils pensaient défendre la veuve et l’orphelin…

  2. J’adore : »j’ai été impressionné par quelques chefs ». Ces chefs n’étaient-ils pas issus de la base ?

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