Le drapeau est à la politique ce que la sémantique est à l’intelligence : derrière des apparences anodines se cache un combat subtil et plus ou moins conscient qui conditionne subrepticement notre manière d’appréhender la réalité.

Ce 22 mars au matin, c’est en Corse que le symbole du drapeau a frappé : dans un communiqué, la Collectivité de Corse (qui s’appelle ainsi depuis le 7 août 2015 à la place de « collectivité territoriale ») explique qu’elle a décidé la mise en berne de ses drapeaux « pour exprimer la tristesse collective ressentie par [le peuple corse] après la mort tragique d’Yvan Colonna et face aux heures sombres que vit la Corse ».

L'événement n’est pas anodin, car si la tragédie de la mort d’Yvan Colonna est dramatique, il n’en demeure pas moins le meurtrier d’un préfet de la République. À ce titre, il n’est pas certain qu’il mérite les honneurs de la nation, ce que signifie la mise en berne.

La mise en berne des drapeaux n’est réglementée que par le décret du 13 septembre 1989, titre VI, section 2, article 47. Le texte prévoit que « lors du décès du président de la République, les drapeaux et étendards des armées prennent le deuil ; les bâtiments de la flotte mettent leurs pavillons en berne ». La mise en berne des drapeaux en Corse n’est donc pas illégale. Mais elle est contraire à la coutume, comme le rappelait la sénatrice de l’Essonne Jocelyne Guidez, le 3 mars 2022, lors d’une question orale au Sénat : « En pratique, il appartient au Premier ministre, par l’intermédiaire du secrétaire général au Gouvernement, de donner des instructions aux ministres en vue de la mise en berne des drapeaux lors de deuils officiels. » Elle ajoute même qu’ensuite, les préfets sont chargés de s’assurer de l’exécution de la consigne et que « le ministre de l’Intérieur dispose du pouvoir de suspendre un maire en cas de refus de procéder au pavoisement ».

Si rien n’est illégal, cette mise en berne territoriale marque la volonté de la Corse de s’arroger les prérogatives qui appartiennent normalement à l’État. Il s’agit donc d’un acte politique hautement symbolique. L’État n’a, à ce jour, pas fait part de sa volonté de demander à la Collectivité de Corse de retirer la mise en berne de ses drapeaux.

Peut-être parce que le président de la République a déjà joué sur le symbole du drapeau. Lorsque Emmanuel Macron accroche le drapeau européen sous l’Arc de Triomphe à deux reprises, pour célébrer le début de la présidence française du Conseil de l’Union européenne puis pour accueillir les dirigeants européens au sommet de Versailles, il marque les esprits... et les échauffe. Afficher le drapeau européen seul sans le drapeau national sous un édifice public « est contraire à l'usage constant ainsi qu'à la tradition républicaine, réaffirmée par de nombreux ministres de l'Intérieur », rappelle le journaliste Paul Sugy, dans Le Figaro du 1er janvier 2022. Habituer le peuple français à n’être qu’une partie de la grande Union européenne souveraine dont rêve Emmanuel Macron passe par l’acceptation de ce symbole. On pourrait modifier la célèbre phrase attribuée à Lénine : « Faites leur avaler le symbole et ils avaleront la chose. »

 

Cet article a été mis à jour pour la dernière fois le 25/03/2022 à 10:18.

5676 vues

23 mars 2022 à 21:36

Pas encore abonné à La Quotidienne de BV ?

Abonnez-vous en quelques secondes ! Vous recevrez chaque matin par email les articles d'actualité de Boulevard Voltaire.

Vous pourrez vous désabonner à tout moment. C'est parti !

Je m'inscris gratuitement

La possibilité d'ajouter de nouveaux commentaires a été désactivée.

95 commentaires

  1. Mettre les drapeaux français et européen en berne pour un terroriste assassin d’un Préfet de la République , c’est non seulement une faute , mais un crime de haute trahison …. Le drapeau corse , c’est leur problème , bien que la majorité n’y souscrive vraisemblablement pas . Qu’on leur donne l’indépendance et basta ! Sans subvention évidemment . Qu’ils se dé………… avec leurs impôts et le tourisme ( très beau pays !) + la charcuterie ( excellente !) , leur fromage et leur vin .

  2. Il y a un truc que je ne comprends pas… BV nous parle de la mise en berne du drapeau dans le cas du décès du Président de la République, et de personne d’autre. J’en conclus que Colonna devait être aussi président de la Corse, si ce n’est de la France ! Un Président qui tue de 3 balles dans le dos un préfet, c’est peu banal ! d’où une forme de deuil national. De Gaulle aurait-il toléré un tel acte quasiment séditieux ? Nous assistons au démantèlement d’un pays qui a mis 1000 à se constituer.

  3. Deux visions s’affrontent. Les Corses, comme Gustave Le Bon, considèrent que les peuples-races existent, ont une âme, et c’est de leur longue lignée qu’émerge le système politique, ils souhaitent vivre dans un système d’association de peuples-races, Corses, Bretons, Basques etc. Et il y a la République, qui ne voit que des individus, qui considère que le peuple est un agrégat d’individus sans passé ni race, et que les règles politiques s’imposent à tous, des règles abstraites et hors-sol.

  4. Autant que je me souvienne, il n’a jamais été prouvé qu’il était réellement le meurtrier, il a toujours nié et un témoin avait décrit le meurtrier comme tout à fait différent d’Yvan Colonna, et, quoi qu’il en soit, il est inadmissible qu’on puisse se faire assassiner en prison.

  5. « il n’en demeure pas moins le meurtrier d’un préfet de la République. »
    Des preuves? Un jugement de la justice dont on doute chaque jour de l’indépendance par rapport au politique.
    Y. Colona a par ailleurs clamé son innocence…
    Il est stupéfiant de répéter des « infos » sans creuser davantage, et ce, sur tous les sujets.

  6. Si Colonna est innocent, qui a tiré? Pourquoi le tireur ne s’est pas dénoncé pour éviter à son ami de finir en prison, loin des siens? Combien de personnes connaissent la vérité et se taisent? Une enquête peut-être bâclée pour avoir un coupable, le transférer en Corse et le faire évader !

  7. Mais où est notre éternel absent pourtant ministre de la justice. La pénitentiaire est bien dans sa cour, la justice?

  8. Il n’y a pas que les drapeaux que les Corses doivent mettre en berne. Jupiter doit aussi être mis en « berne ». Alors, Corses, votez bien!

  9. Vous dites, je cite: « L’événement n’est pas anodin, car si la tragédie de la mort d’Yvan Colonna est dramatique, il n’en demeure pas moins le meurtrier d’un préfet de la République. À ce titre, il n’est pas certain qu’il mérite les honneurs de la nation, ce que signifie la mise en berne. ». Permettez-moi de vous dire que vous avez tout faux. La culpabilité d’Yvan Colonna n’a jamais été vraiment établie; pire, il a été arrêté sur des allégations qui n’ont jamais été prouvées.

    1. D’accord, on n’y était pas, et sa culpabilité n’a peut-être pas été établie formellement. Mais il y’a eu certainement de fortes présomptions, et il n’est pas question de plaindre un personnage pareil. Et s’il n’a pas appuyé sur la gâchette lui-même, il y’en a un qui l’aurait fait, et qui laisse croupir son copain en prison sans jamais essayer de rectifier l’erreur. Ceci dit, il faut peut-être re-situer les choses. C’est un islamiste emprisonné qui a fait ce coup. Peu importe qui est la victime.

Les commentaires sont fermés.