La grammaire « inclusive », ce nouveau champ de bataille absurde et dérisoire

Après l'écriture, la grammaire "inclusive".

314 enseignants, du primaire, du secondaire et du supérieur, ont signé un manifeste dans lequel ils disent avoir cessé - ou s'apprêter à le faire - d'enseigner cette règle de grammaire méprisable résumée par cette formule : "Le masculin l'emporte sur le féminin."

On n'écrirait plus "les garçons et les filles sont gentils" mais "gentilles". Bouleversement, cataclysme qui feraient de la grammaire un nouveau champ de bataille et désigneraient, dans la prétendue guerre des sexes, un autre vainqueur. Mon dieu, quelle fulgurante avancée et comme l'avenir serait radieux !

On a les dérisoires et inutiles révolutions qu'on peut.

Frédéric Vitoux a démontré lumineusement que l'introduction de l'écriture inclusive serait une régression puisqu'elle communautariserait les deux sexes en supprimant le neutre (Figaro Vox).

On est tombé sur la tête et certains professeurs peuvent légitimement faire douter de leur bon sens quand celui-ci est aussi gravement obéré par une idéologie faussement progressiste qui mêle tout dans tout.

Qui mélange la dignité humaine et l'exigence d'égalité, dans leur traduction profonde, authentique, sociale et quotidienne, avec des principes d'écriture et de grammaire relevant d'un formalisme qui a fait ses preuves et n'a pas empêché de très grands écrivains féminins d'offrir à l'admiration de magnifiques livres qui témoignaient bien plus en faveur de l'égalité des sexes que la torture aberrante infligée à l'orthographe et aux accords conventionnellement admis.

Qui peut une seconde, sauf à être détourné de l'essentiel par des combats picrocholins, être persuadé que ce masculin l'emportant sur le féminin par commodité révèle forcément dans l'existence une scandaleuse emprise d'un sexe sur l'autre ? Même si cette règle de grammaire relevait, dans l'arbitrage qui a été opéré, d'un pouvoir supérieur prêté à l'homme, pense-t-on sérieusement que c'est en déconstruisant notre manière d'écrire et d'accorder que le futur fera surgir une condition humaine où l'homme et la femme, sans être les mêmes, seront traités avec la même considération ?

Je crois qu'au contraire, ces apprentis sorciers, ces enseignants fatigués d'enseigner, épris d'originalité et proposant une révolution démagogique, vont se perdre par leur ridicule "suivisme" et leurs outrances.

Car il convient à tout prix, pour eux, de s'inscrire dans l'effervescence à la longue lassante de ces dernières semaines où la femme qui dit ne pas avoir été harcelée est perdue pour la cause féministe ! J'espère que ces provocations ridicules seront de nature à réveiller la multitude indifférente ou endormie afin qu'elle ne regarde pas passer devant elle, sans broncher, ces absurdités.

Je l'espère, mais je n'en suis pas sûr. C'est le vice de notre modernité et le risque de son implacable rouleau compresseur que de nous entraîner dans un torrent où, pour résister à l'innommable ou au trop bête, il faut presque être doué d'un courage exceptionnel.

L'absurdité est-elle "inclusive" ? Faudra-t-il bientôt supprimer de notre langue les idées, les concepts, les noms communs au féminin au prétexte que, renvoyant à des contenus négatifs, ils ne pourraient être qu'au masculin ?

S'il convient de choisir, je n'hésite pas. Je me rangerai du côté de l'orthographe et de la grammaire pour les défendre.

Je ne serai pas le seul.

Philippe Bilger
Philippe Bilger
Magistrat honoraire - Magistrat honoraire et président de l'Institut de la parole

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