Gilets jaunes et pouvoir en place : dialogue de sourds…
Il ne peut rien ressortir d’un dialogue de sourds...
Élisabeth Lévy a commencé une intervention à l’un de ces énièmes débats sur les « gilets jaunes » en déclarant à peu près ceci : Nous tous, ici, journalistes, politiques, écrivains, philosophes, acteurs etc…, nous ne pouvons débattre utilement de ce sujet parce que nous n’y comprenons strictement rien, vivant dans un autre monde avec un autre langage.
Tollé général sur le plateau...
Et pourtant, elle a mille et une fois raison. Ce qui se passe actuellement est la parfaite illustration d’une incommunicabilité devenue totale entre deux mondes : le monde des villes et le monde des champs, pour faire court.
Chacun a « raison dans son ensemble ». Le monde des champs a raison de hurler sa misère et sa juste colère, le monde des villes a raison de dire que nous sommes dans un État de droit.
Mais, pour employer une analogie mathématique, les deux ensembles sont dangereusement disjoints et s’éloigneront de plus en plus à mesure que les tensions seront plus fortes, avec son lot d’inévitables violences.
J’ai vécu dans un pays arabe francophone et je pensais donc en arrivant, naïvement mais sincèrement, que, mes interlocuteurs parlant parfaitement le français, je pouvais communiquer avec mon propre champ linguistique en utilisant mes tournures de phrase, mes images habituelles, mes « tics de langage ».
Et il m’arrivait donc de commettre de sérieuses bévues en vexant, voire humiliant, mes partenaires locaux.
Par exemple, l’un de mes tics de langage, c’était de dire « on discute du sexe des anges », horrible blasphème pour un musulman ; c’est comme si je faisais une allusion à connotation sexuelle sur un sujet sacré.
Dans une magnifique chanson à sa fille, le chanteur kabyle Idir dit : « Tu sais, ma fille, chez nous, il y a des choses qu’on ne dit pas. »
J’ai peu à peu corrigé tous mes éléments de langage en demandant à mes amis locaux de « faire mon éducation », de me « coacher » pour parler moderne, et tout est rentré dans l’ordre.
C’est, à mon avis, exactement ce qui se passe dans ce grave conflit « champs/villes ».
Les gilets jaunes disent : « On nous écoute, mais on ne nous entend pas. »
Le pouvoir politique dit : « On ne sait pas à qui parler. »
Alors, on pourra débattre à l’infini sur les taxes et la nécessité de la « transition énergétique », on n’avancera pas d’un pouce.
Pour s’en sortir, il faut trouver des « caméléons », des gens capables de « prendre à la fois les couleurs des champs et les couleurs des villes », des gens capables de retisser ce lien.
Et ces gens-là, ils existent, ce sont les maires et, plus généralement, les élus locaux. Inutile de « réinventer le monde » !
Et c’est exactement le même cas pour les banlieues.
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