Est-il encore possible de rendre la justice dans le 9-3 ?

93 Seine saint Denis

Le tribunal de grande instance de Bobigny, LE tribunal de Seine-Saint-Denis, ce fameux 9-3 qui concentre tant de maux, est l’un de ceux qui reviennent le plus souvent dans l’actualité judiciaire. Qu’il soit question de procès ou du « mal-être » de ses magistrats, il est le symbole d’une Justice malade.

Une enquête parue en 2018 alertait déjà sur le fonctionnement de la grande machine, un magistrat confiant à l’époque à L’Express : « Les difficultés sont tellement importantes que, souvent, on ne nous croit pas quand on les raconte. C'est terrible. » Alors pointés du doigt, les « coupures de chauffage l'hiver, problèmes de câblages électriques, dossiers qui s'empilent le long des fenêtres et sous les bureaux, enquêtes en souffrance, turnover des magistrats, audiences saturées... » Bref, disait le magazine, « la vie au quotidien du premier tribunal de France, derrière Paris, a tout d'un parcours d'obstacles ». Voilà pour le matériel.

Aujourd’hui, c’est la note interne du président de la cour d’assises qui alerte sur un autre problème, autrement plus inquiétant à notre avis : est-il encore possible de rendre la justice au tribunal de Bobigny ? À le lire, on en doute fortement.

Ce que dénonce le magistrat, c’est, plus que la loi du silence, la corruption organisée des jurés qui rend désormais impossible la condamnation des criminels.

Preuve flagrante de ce qu’il avance, un jugement ahurissant rendu en février dernier et à l’issue duquel, sur huit accusés pour « enlèvement, séquestration, actes de tortures et de barbarie » dans le cadre d'un trafic de drogue durant l'été 2014, seuls deux (qui se trouvaient déjà en prison pour trafic de drogue) ont été condamnés. Les cinq autres, contre lesquels avaient été requises des peines de 8 à 18 ans de prison, ont été relaxés.

À la stupéfaction de ce jugement inique s’est ajoutée une autre surprise : le verdict avait fuité dans la salle avant d’être rendu ! Ce qui a entraîné l’ouverture d’une enquête pour corruption, laquelle vient d’aboutir à la mise en examen de trois personnes, dont l’un des jurés de ce procès d’assises pour « violation du délibéré ». « Dans les annales judiciaires, on n'avait vu ça que dans le banditisme corse », écrit la journaliste du Parisien qui relate la chose.

Le président de la cour d’assises Philippe Jean-Draeher a donc décidé d’alerter sur « la difficulté de juger les criminels en Seine-Saint-Denis », ce qui révèle « une situation particulièrement inquiétante mettant en cause le fonctionnement de la justice ». Évoquant le procès en référence, il écrit : « Très vite, lors des prises de parole des jurés, une tendance quasi unanime est apparue, à refuser la culpabilité de certains accusés malgré toute la pédagogie et la patience dont nous fîmes preuve avec mes collègues à l’occasion des nombreux tours de table préalables aux votes. Il s’en est suivi malheureusement des acquittements totalement infondés et contraires aux certitudes résultant tant de la procédure d’enquête, d’information que des débats devant la cour. »

Que faire, alors ? Changer les mentalités ? C’est aujourd’hui impossible, tant la peur verrouille désormais tous les rapports sociaux. Des décennies de laxisme et de paix sociale achetée à prix d’or ont eu raison de la morale la plus élémentaire. On a laissé prospérer « l’économie parallèle » pour la seule raison qu’elle est une économie, jetant un voile pudique sur les trafics qui irriguent aujourd’hui toutes les cités et asservissent leurs habitants.

Alors oui, que faire, sinon décider de délocaliser tous ces procès, ou alors réformer notre droit et décider de se passer des jurys populaires ? Puisqu’on a décidé de tout confier aux algorithmes, pourquoi pas aussi la justice ?

Marie Delarue
Marie Delarue
Journaliste à BV, artiste

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