Helen Joyce est une journaliste irlandaise, rédactrice en chef des affaires événementielles à The Economist. Depuis 2018, Helen Joyce s’intéresse aux questions de transsexualité. En 2021, elle publie un ouvrage qui connaît un grand succès : Trans, quand l’idéologie rencontre la réalité (Trans: When Ideology Meets Reality). Pour Boulevard Voltaire, elle accepte de répondre à nos questions.

Geoffroy Antoine. Dans votre ouvrage, vous faites la genèse du « phénomène trans ». Pourriez-vous résumer en quelques mots l’émergence de ce mouvement ?

Helen Joyce. Le « phénomène trans » commence au moment où certaines personnes ont imaginé que l'on pouvait opérer quelqu'un pour le faire ressembler davantage à un membre du sexe opposé. C'était d'abord à la fin des années 1920 en Allemagne, puis ça a été repris dans les années 1950 en Amérique. Évidemment, à cette époque, la notion de genre n’existait pas. Ils pensaient que ces personne étaient dans une détresse inhabituelle et qu'il fallait les aider. Cela ne concernait qu'un très petit nombre de personnes. Mais dans les années 1990, divers courants intellectuels issus du postmodernisme et de la « French Theory » des années 50 ont fait leur apparition aux États-Unis. Dès lors, les rôles sociaux de l’homme et de la femme vont prendre le dessus sur le fait biologique et de nombreux travaux universitaires refuseront de parler de « mâle » et de « femelle » pour désigner les hommes et les femmes. C’est la naissance de la théorie du genre. D’après mes recherches, cette négation de la biologie permet la mise en place d'un processus circulaire dans lequel les gens sont amenés à s'interroger sur leur genre, à ressentir une dysphorie ou une maladie de genre, et augmente ainsi le nombre de personnes qui se considèrent comme n'appartenant pas à la catégorie à laquelle elles ont été reconnues à la naissance. C'est un processus qui s'accélère, qui est allé assez loin et qui a encore du chemin à faire.

G. A. Aujourd’hui, les étudiants ne sont plus les seuls à être exposés à la théorie du genre et au mouvement trans activiste, de plus en plus de jeunes enfants, parfois en bas âge, y sont également confrontés. Comment cela est-il possible ?

H. J. Les enseignants veulent être progressistes. Ils veulent être inclusifs. On leur a appris que c'était mal d'être raciste ou sexiste. Et aujourd’hui, on demande aux enseignants d’apprendre aux enfants ce que signifie être un garçon ou être une fille en les faisant se questionner sur leur identité de genre. « Est-ce votre représentation des stéréotypes », votre « identification aux stéréotypes » ? Et, bien sûr, certains enfants sont très « non conformes », c’est-à-dire que vous avez des petits garçons qui ne sont pas très garçons ou des petites filles qui ne sont pas très filles. Et, ainsi, vous semez les graines du doute dans l'esprit de ces enfants quant à leur sexe. Et je ne pense pas que ce soit l’intention des enseignants, ils essaient de rendre la vie des enfants plus facile, mais en fait, ils la rendent plus difficile.

G. A. Peut-on parler d’une forme de propagande en faveur du mouvement trans ?

H. J. C'est un mot fort. Mais je le pense, oui. Les personnes qui veulent contraindre à penser de la sorte ont une vision de la réalité qu'elles pensent être la bonne et la plus juste. Et elles veulent que nous soyons tous d'accord. C’est pourquoi ils reconnaissent que le moyen de faire changer tout le monde passe par les écoles, les institutions éducatives et les médias.

G. A. Vous évoquez régulièrement, dans votre ouvrage, l’influence de ce « lobby trans ». Comment s’est-il formé ?

H. J. Certaines personnes pensent que c'est une conspiration de l'industrie pharmaceutique pour créer des patients à vie. Je ne pense pas cela. Je pense qu’il s’agit surtout d’une combinaison de facteurs. Des individus qui voulaient être acceptés comme membres du sexe opposé, avec leur médecin, ont réussi à se faire entendre par les autorités. Certains d'entre eux étaient des personnes très motivées et ils ont fait pression pour obtenir des changements juridiques. Et je pense que ces changements juridiques ont eu plus de conséquences que les gouvernements ne l'avaient compris à l'époque. Bien sûr, je pense que vous ne pouvez pas ignorer le rôle des grandes organisations caritatives et des groupes de pression qui ont œuvré pour le mariage gay. Et quand ils ont réussi avec le mariage gay, ils ont eu besoin d'une nouvelle cause. Ils ont donc porté leur attention sur les problèmes des transgenres, car sinon, à quoi bon ? Ils pourraient tout aussi bien ne pas exister.

G. A. Y a-t-il un business qui se cache derrière ce lobby ? Une potentielle manne financière ?

H. J. Eh bien, je pense qu'il y a maintenant un très grand lobby, c'est-à-dire des personnes employées dans les entreprises, les universités, les écoles, l'industrie de la diversité et de l'équité. Des tas et des tas de gens ont pour mission de trouver des « préjugés » ou des « stéréotypes » et de les déraciner dans tous les départements de ressources humaines, dans toutes les grandes entreprises, et ils ont besoin de trouver du travail. Ils ont besoin de faire quelque chose.

Vous savez, vous avez besoin de justifier votre travail. Il y a donc beaucoup de gens dont le métier est de trouver du racisme, du sexisme, etc. Et une partie de ce qu'ils font maintenant est de pousser l'idéologie trans. Pas de toilettes unisexes, mettre des pronoms dans votre signature email, ce genre de choses. Ça permet de donner des emplois aux diplômés des départements d'études de genre, de sociologie et d'humanités. Et maintenant, le lobby de la santé est entré en scène. Ils ne sont pas encore visibles, mais ils sont maintenant derrière, définitivement, surtout en Amérique, où le système de santé est très axé sur le profit. Le plus grand lobby du monde, c’est le lobby américain des produits pharmaceutiques et des soins de santé, qui dépense plus d'argent que n'importe quel autre groupe de pression. C'est très important de le dire.

G. A. Dans le monde anglo-saxon, les critiques du mouvement trans sont parfois exposées à la vindicte populaire, comme ce fut le cas avec J. K. Rowling. Depuis la publication de votre livre, avez-vous expérimenté pareil traitement ?

H. J. Je n'ai pas connu de problèmes majeurs mais je suis constamment diffamée. Les gens mentent sur moi tout le temps et ce n'est pas agréable. J'ai été invitée à donner des conférences, puis on m'a retiré l'invitation. J'ai fait partie des listes d’intervenants pour parler lors de conférences médicales, et puis ils m'ont laissée tomber. J'ai été mise sur la liste noire des chaînes de télévision… Mais je ne prête pas trop d’attention aux critiques et je continue à faire mon travail qui doit être fait pour protéger les enfants et les femmes.

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05 octobre 2022 à 20:15

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