« Des chiffres et des lettres » qui forment le mot « fin »

Capture d'écran © Archives INA
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C’est la deuxième émission la plus ancienne de l’audiovisuel français, après Le jour du Seigneur (créé en 1949)… et elle va s’arrêter. Ce fut en 1972 que Des chiffres et des lettres vit le jour à la télévision française, après plusieurs tâtonnements conceptuels d’Armand Jammot autour de l’idée de concours de vocabulaire et de calcul mental [Le mot le plus long fut créé en 1965, NDLR]. L’émission fut animée par Patrice Laffont, qui passa la main en 1992 (après divers remplaçants) à Laurent Romejko. Nombreux sont, sans doute, les lecteurs de BV qui connurent les plateaux successifs de cette émission culte ainsi que son équipe indéboulonnable : Bertrand Renard, d’abord candidat brillant puis arbitre du Compte est bon, ainsi qu’Arielle Boulin-Prat, qui le rejoignit pour le Mot le plus long. Les épreuves sont – ou plutôt, donc, étaient - un savant mélange de hasard (les « tirages » de chiffres ou de lettres) et de débrouillardise (trouver un résultat ou un mot à partir des données de base). Faire de son mieux avec ce qu’on a reçu, proposer une solution, sinon parfaite, du moins aussi parfaite que possible : il y avait là quelque chose de tout à fait philosophique, sous les apparences du divertissement.

Peu d’émissions de divertissement proposent, aujourd’hui, des silences de plus d’une minute, avec des candidats humbles et anonymes qui viennent gagner de petits cadeaux symboliques. Ce fut, peut-être, la raison pour laquelle, en 2022, la télévision publique transforma cette émission jusque-là quotidienne en rendez-vous hebdomadaire. Et puis, dimanche 5 mai 2024, coup de tonnerre : Stéphane Sitbon-Gomez, directeur des programmes de France Télévisions, choisit le cadre d’une interview à La Tribune, cette Pravda du macronisme, pour dévoiler la triste nouvelle : Des chiffres et des lettres ne sera bientôt plus diffusé.

L'avenir est à l'illettrisme

Adieu, donc, après-midi d’un tranquille et joyeux ennui où nous faisions fonctionner nos méninges pour le plaisir, adieu calculs impossibles, mots vulgaires ou érudits, candidats sérieux, venus de l’époque où « intello » n’était pas encore une insulte. L’émission rejoint ainsi Questions pour un champion, format Julien Lepers, et La Cuisine des mousquetaires, portée par la truculente Maïté, au cimetière des grands programmes populaires. Il y a certainement tout un bataillon de raisons plus ou moins justes pour expliquer l’arrêt de ce programme symbolique : moins de téléspectateurs, sans doute, certains partis de mort naturelle, d’autres insensibles (signe des temps) à la beauté du calcul mental ou du vocabulaire anagrammatique ; moins d’intérêt, de la part des chaînes de télé, pour l’élévation de l’esprit du spectateur à qui il s’agit, désormais, de fournir sa dose de clash, de buzz, de téléfilms diversitaires ; les phénomènes de mode, enfin, peut-être, dont les cycles sont de plus en plus courts et au milieu desquels les émissions « patrimoniales », comme on dit, n’ont pas ou plus vraiment leur place.

La véritable raison, personne ne la dira : c’est l’analphabétisme qui ronge peu à peu, comme un patient cancer, notre pays autrefois si fin et si rapide. S’il y a un compte de bon, je crains bien que ce ne soit le nôtre.

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Arnaud Florac
Chroniqueur à BV

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