Il y a quelques jours éclatait un nouveau conflit israélo-palestinien. Boulevard Voltaire a interrogé Richard Haddad, historien et politologue, et Antoine de Lacoste, bien connu des lecteurs. Deux points de vue, deux analyses pour mieux comprendre une situation complexe et explosive depuis 1948.

 

On a dénombré 248 morts à la suite des confrontations qui ont eu lieu sur la bande de Gaza, en mai dernier. Quelle est la situation, aujourd'hui ?

Richard Haddad : Un cessez-le feu de plus est rentré en vigueur. Aucun des deux protagonistes n’avait intérêt au prolongement de l’affrontement qui aurait provoqué une intervention au sol des commandos de Tsahal et la suite des bombardements mutuels. Le Hamas s’en serait sorti affaibli, d’une part, et les Israéliens n’avaient, d’autre part, aucune envie de sacrifier la vie de quelques soldats au sol, et encore moins la saison touristique de cet été.

Antoine de Lacoste : Ces « 248 morts de part et d’autres » sont, en réalité, dix morts israéliens et le reste palestiniens. Les moyens militaires de chaque camp sont évidemment disproportionnés. La dureté de la riposte israélienne aux attaques du Hamas n’a rien de nouveau : l’objectif est de décourager toute nouvelle attaque en infligeant des destructions considérables et de nombreux morts civils.

Ce qui est nouveau c’est la capacité du Hamas, inédite jusque-là, d’envoyer des missiles depuis la bande de Gaza sur une part importante du territoire israélien. Ces missiles sont rudimentaires mais tous n’ont pas été interceptés et ont provoqué plusieurs morts. Cela inquiète Israël, qui a accepté un cessez-le-feu sous la pression américaine. Mais cela peut recommencer à tout moment.

 

Qu’est-ce qui a provoqué ce nouveau conflit ?

Antoine de Lacoste : Sous la houlette de Netanyahou, Israël s’est lancé, par le biais des colons, dans la conquête de la Cisjordanie en général et de Jérusalem-Est en particulier. Les manifestations ont débuté à Jérusalem pour protester contre les expulsions de Palestiniens de leurs habitations de Jérusalem-Est où ils habitent depuis des décennies, voire des siècles.

L’autorité palestinienne de Mahmoud Abbas, censée administrer la Cisjordanie palestinienne, est aujourd’hui discréditée, minée par la corruption et incapable de la moindre initiative utile. Les manifestations qui se sont spontanément produites à Jérusalem ont alors été une occasion inespérée, pour le Hamas, de les soutenir par ses attaques de missiles. Il en a recueilli une grande popularité et c’est bien dommage. Rappelons que le Hamas est un mouvement islamiste proche des Frères musulmans. La sclérose de l’Autorité palestinienne est inquiétante car elle permet aux islamistes de renforcer leur implantation au sein de la population palestinienne, qui n’a pourtant aucune tradition islamiste.

 

Richard Haddad : La répression israélienne contre des rassemblements palestiniens sur fond de célébration du ramadan et de revendications territoriales autour des lieux sacrés de la vieille ville de Jérusalem. Les Palestiniens envoient des projectiles sur les forces de l’ordre qui répliquent violemment… Le Hamas, en compétition avec l’Autorité palestinienne, et obéissant à l’agenda régional de ses alliés iraniens, a déclenché des tirs de missiles sur les villes israéliennes en représailles. La réplique de l’État hébreux était immédiate et radicale.

 

Depuis 1948, les conflits se multiplient. Le dernier auquel on a assisté se différencie-t-il des précédents ?

Richard Haddad : Oui, et cela, à cause de deux événements.

Les pays arabes du Golfe, qui certes n’ont jamais été de grands alliés de la résistance palestinienne et encore moins du Hamas, les soutenaient a minima et les finançaient afin de répondre à l’émoi de leur opinion publique toujours solidaire des peuples musulmans « opprimés ». Or, ces pays ont signé, ou sont sur le point de le faire, des accords de paix avec Israël en 2020. Les Palestiniens se sont retrouvés isolés sur le plan arabe, leur cause n’intéressait plus personne. L’Arabie saoudite ira même jusqu’à leur demander de revoir à la baisse leurs revendications par la bouche du prince héritier Mohammed ben Salmane. Même le régime syrien a été surpris à la table de négociation avec des officiels israéliens au début de 2021, jetant le trouble dans ses relations avec son allié iranien. Or, ce nouveau conflit parasite ces nouvelles alliances, les États arabo-islamiques ne pouvant fermer les yeux face aux images de victimes palestiniennes abondamment diffusées auprès de leur population.

Par ailleurs, un nouveau phénomène est apparu lors de ce nouveau conflit : la réaction des Arabes israéliens. De plus en plus nombreuses, ces populations palestiniennes de nationalité israélienne deviennent un danger pour Israël. Plutôt pacifiques et acceptant leur statut d’Israélien depuis des décennies, elles commencent à manifester de plus en plus leur solidarité avec les Palestiniens des territoires occupés, ce qui provoque parallèlement une réaction violente à leur encontre de la part de l’extrême droite juive. Dépassant plus de 20 % de la population israélienne, et ce pourcentage étant en forte croissance, un risque de guerre civile menace l’État hébreux qui a longtemps cru à l’utopie multiculturelle et multiconfessionnelle fondée sur un système inégalitaire en faveur du peuple juif. Submergé par le nombre, il risque de finir comme le régime des Blanc sud-africains ou comme les chrétiens du Liban qui, eux, ne pratiquaient certes pas l'apartheid.

 

Antoine de Lacoste : Oui, ce conflit a été marqué par un phénomène nouveau dont l’avenir dira si c’est un tournant. Pour la première fois, d’importantes manifestations de ceux qu’on appelle les Arabes israéliens se sont déroulées dans plusieurs villes israéliennes. Qui sont-ils ? Ce sont des Palestiniens vivant sur le territoire d’Israël, hors de la Cisjordanie et de la bande de Gaza. Ils ont la nationalité israélienne, représentent 20 % de la population et font généralement peu parler d’eux car ils bénéficient de conditions de vie bien meilleures que ceux des Palestiniens des « Territoires ».

Mais un changement fondamental est intervenu par le vote de la loi « Israël, État-nation du peuple juif ». Cette loi, voulue par Benyamin Netanyaou et votée le 19 juillet 2018, a provoqué de grandes polémiques dans le pays. En effet, elle a proclamé Jérusalem capitale « complète et unifiée » d’Israël (contrairement à son statut actuel), déclassé la langue arabe de son statut de deuxième langue et ne mentionne jamais les Arabes israéliens.

De nombreuses manifestations s’étaient déroulée dans tout le pays, rassemblant Arabes israéliens et Druzes qui dénonçaient leur nouveau statut de « citoyens de seconde zone ». Même le président israélien avait fait part de ses réserves sur cette loi.

Ce n’est pas un hasard si, trois ans après, des milliers de manifestants arabes ont protesté dans de nombreuses villes contre les événements de Jérusalem. À Jaffa, Saint-Jean-d’Acre ou Lod, où la communauté palestinienne chrétienne est importante, des heurts violents se sont produits pour la première fois.

Le patriarcat latin de Jérusalem avait demandé l’abrogation de la loi ; en pure perte, bien sûr.

Dans ce contexte nouveau et tendu, le départ de Netanyaou est une excellente nouvelle : sous son long règne, de nombreux murs ont été érigés afin de protéger les colonies israéliennes rognant le territoire cisjordanien (on peut lire, à cet égard, le beau livre de Vera Baboun Bethléem, ma ville emmurée).

Aujourd’hui, la situation est explosive et des gestes d’apaisement israéliens sont maintenant nécessaires.

 

Entretien croisé réalisé par Sabine de Villeroché

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17 juin 2021 à 21:15

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