"C'est à Mayotte, les kwassa-kwassa en badinant, mais le kwassa-kwassa pêche peu, il amène du Comorien, c'est différent." Tollé au point que l'entourage présidentiel a dû préciser qu'il s'agissait d'une "plaisanterie pas très heureuse et malvenue".

Sur-le-champ, j'avais tweeté en m'étonnant de cette dérision verbale du Président, habituellement si précautionneux sur ces sujets sensibles, et je l'avais analysée comme un excès de confiance, une décontraction, une désinvolture qui résultaient de l'état de grâce que ses débuts impeccables avaient suscité et de la probabilité d'obtenir une majorité absolue ou guère moindre avec LREM. Cette boutade ressemblait trop à du "Sarkozy" ou à du "Hollande", qui ne pouvaient se passer d'un trait, pour que je ne sois pas inquiet.

Si cette saillie si peu appréciée avait été proférée par ces derniers, je l'aurais fustigée et je n'aurais pas eu envie de les défendre.

Alors que pour le Président Macron, n'ayant pour l'instant à son passif que la gestion du "boulet" Ferrand, je suis tenté de venir à son secours même s'il n'a pas besoin de moi et qu'il est lui-même contrit par ce "dérapage".

En même temps, quelle épouvantable retenue doit être celle d'un président de la République, presque inhumaine, tant elle n'autorise rien, conduit chaque seconde à une surveillance constante de soi, de ses propos ! Ce n'est plus une vie ! Moi qui comprends si bien la passion du pouvoir, je dois admettre que la puissance qu'il donne et l'emprise qu'il permet pour le meilleur - on a le droit de l'espérer - sont largement compensées par le fait que le politique (et un Président bien davantage) ne peut pas user du langage comme il l'entend et, en tout cas, en public, doit soumettre son esprit, son inventivité et son désir d'expression à des règles strictes. Il ne s'agit évidemment pas de dire n'importe quoi, mais les jeux avec le langage les plus innocents, les drôleries les plus acceptables, la seconde d'humanité libre et vraie, voire provocatrice, sont interdits à un Président. Ce dont nous pouvons jouir dans nos sphères privées et que parfois nous transférons avec imprudence dans l'espace social - un Président est tenu par sa fonction d'une manière pas loin d'être totalitaire et presque absurde, à force de pureté.

On comprend bien qu'« amener du Comorien » appréhende avec un humour inadapté des situations de détresse et une humanité qui mériteraient une autre approche mais, au risque de paraître cynique, est-ce si grave que cela, y a-t-il matière véritablement à scandale et indignation, surtout quand ce président de la République n'a jamais pu être soupçonné de pensées indélicates ou de honteux préjugés ? Et qu'il se laisse aller à une légèreté dont il oublie qu'elle doit lui demeurer étrangère ?

Je ne parviens pas à partager cette tendance qui exige tout des politiques, ne leur fait crédit de rien sur le plan de l'expression, sanctionne une indélicatesse comme si elle était le comble de l'indignité mais qui, en revanche, par ailleurs et sur un plan général, applaudit les vulgarités, s'enivre des bassesses et s'émerveille d'entendre jurons, grossièretés et saletés.

L'expression de la morale incite à une morale de l'expression, à placer celle-là à tout crin dans celle-ci et, à force, fait perdre tout sens des choses et dénature la hiérarchie que le bons sens et l'intelligence imposeraient.

La disproportion est éclatante entre des petitesses qui sont amplifiées à la hauteur d'un Himalaya et des débats capitaux qui n'ont pas le droit d'être menés, on s'émeut et on s'indigne de presque rien et on fait semblant de ne pas entendre le pire.

Le président de la République, alors que tant de tragédies bouleversent la France et le monde, serait gravement coupable pour une broutille au sujet de laquelle on l'a autant incriminé que pour sa gestion de l'affaire Ferrand.

3104 vues

05 juin 2017 à 0:00

Partager

La possibilité d'ajouter de nouveaux commentaires a été désactivée.