Notre société se baptise volontiers « technoscientifique », un gros mot pour dire la dévotion envers la connaissance scientifique, et les réalisations techniques qu’elle permet de faire, qui sont invariablement regardées comme un progrès. La quête de la vérité dite scientifique se nourrit de ces évangiles que sont les publications.

C’est aride, les publications scientifiques, et ça devrait rendre humble. En général, elles sont rédigées en anglais, et parfois par des cuistres, ces savants qui cachent derrière des artifices de langage l’insignifiance de leurs propos. C’est aussi réservé aux spécialistes du domaine, même si, de convention généralement respectée, l’abstract, le résumé, reprend en synthèse et sous une forme accessible au vulgum pecus les enjeux et les conclusions de l’étude ayant justifié de la publication. Mais publier, c’est l’obligation de tous les chercheurs : publish or perish, disent les Américains, qui se traduit par « publie ou meurs ».

Comme pour les Évangiles, il y a les aristocrates et les prolétaires, les canoniques et les apocryphes. Ne pas publier dans une publication avec comité de lecture, c’est s’exposer à l’opprobre : les travaux ne supporteraient pas l’examen de pairs (pair review) censés valider la qualité de l’étude, de la publication et de ses conclusions. Et, bien sûr, comme nous parlons de vérité, fût-elle scientifique, et même si l’indécidable vient troubler la binarité du vrai et du faux, tout est fait dans un souci d’éthique évident. Sauf que...

Vous souvenez-vous de l’étude Séralini, en 2012, ces rats gavés de maïs Monsanto sauce Roundup pendant plus de trois mois et qui présentaient de très photogéniques tumeurs ? La publication dans la revue Food and Chemical Toxicology du groupe Elsevier a été retirée en 2013. Les Monsanto Papers ont mis en évidence les conflits d’intérêts de l’éditeur ayant décidé de la dépublication, ainsi que la campagne de dénigrement orchestrée par la firme. Entre l’argent et la vérité, le choix de Monsanto et de quelques scientifiques véreux est sans équivoque.

Il y a aussi ces trois chercheurs américains qui ont voulu démontrer par l’absurde ce que valent les publications dans le domaine des sciences humaines en 2018. Florilège de ces canulars qu’ils ont réussi à faire publier dans de supposées très sérieuses revues : se masturber en pensant à une femme sans son consentement, c’est la violer ; la culture systémique du viol existe chez les chiens, et même une réécriture féministe de Mein Kampf, d’un certain Adolph Hitler.

Et puis le Lancet, cette revue médicale du groupe Elsevier (encore lui) qui a publié l’étude dont tout le monde parle, celle qui démolit l’hydroxychloroquine dans le traitement du Covid-19. Les autorités sanitaires françaises se sont prévalues de cet anathème pour bouter la molécule économique hors des essais cliniques et des soins prodigués aux Français. Les biais, les erreurs, les conflits d’intérêts des auteurs font surface peu à peu. Plus de décès reportés par l’étude en Australie à la date d’observation que le pays n’en a recensé, des critères raciaux utilisés alors que leur collecte est interdite dans certains pays ayant fourni des données, des convergences statistiques qui laissent croire à une manipulation des données. Des pays sérieux comme le Maroc, l’Algérie, le Canada, considèrent cette étude comme non probante.

Mes amis chercheurs en mathématiques et en physique m’ont dit que pour leurs matières, c’était plus sérieux : un papier de qualité finit par être publié. Ouf ! Laissez-moi reprendre l’injonction de mon saint patronymique : brûle ce que tu as adoré. La science perçue comme une vérité absolue, par exemple, mais nourrie d’évangiles falsifiés… Sachons d’abord retrouver la raison qui permet de distinguer le vrai du faux, et le doute qui est hygiène de l’esprit.

Cet article a été mis à jour pour la dernière fois le 04/06/2020 à 18:19.

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30 mai 2020 à 15:51

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