Allemagne : Le tutoiement généralisé n’est pas signe d’égalité. C’est le chemin vers l’irrespect

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J’avais autrefois un ami qui assurait : « Quand un patron te dit "ici, on est une grande famille", méfie-toi, c’est signe que l’inceste n’est pas loin ! » J’apprends aujourd’hui, par Le Point, que Christian Sewing, le grand patron de la prestigieuse Deutsche Bank, « réclame que ses employés, à tous les échelons, le tutoient, et vice versa », cela, alors qu’il est en train de procéder à un grand plan de suppressions d’emplois.

« En Allemagne, la bataille culturelle marquée par la fin du vouvoiement », titre le magazine, constatant que le tutoiement est en train de devenir la règle, outre-Rhin. Et de rapporter cette anecdote : dans un café chic de Berlin, la serveuse s’adresse à un vieux monsieur et lui demande « Tu prends quoi ? » Interloqué, il lui répond : un expresso, « s'il vous plaît mademoiselle ». La voisine de table, offusquée, reprend la jeune fille, lui dit qu’on ne s’adresse pas ainsi aux gens qu’on ne connaît pas, d’autant plus s’ils ont un certain âge. Réponse de l’intéressée : « Mais nous sommes égaux, non ? Ou est-ce que vous pensez que parce que je fais ce métier-là, vous êtes supérieure à moi ? »

Il s’agit là, écrit la correspondante du Point, d’un nouvel épisode de la Kulturkampf (« bataille culturelle ») qui fait que « dans ce pays si longtemps très à cheval sur les formules de politesse, les titres et l'étiquette, le "du" ("tu") est en train de conquérir les conversations à allure accélérée ».

À y regarder de plus près, il semble bien qu’il s’agisse d’abord d’une crise de la civilité, et sur ce plan, hélas, l’Allemagne n’est pas seule touchée. Accusés d’être rigides, les Allemands seraient en train de se débarrasser de ce « formalisme engoncé qui sonnait un tantinet ridicule aux oreilles des Français ». De ce côté du Rhin, c’est l’impolitesse qui est devenue la règle : on ne dit plus bonjour, ni au revoir, ni merci, ni pardon, ni s’il vous plaît, ni Monsieur, Madame ou Mademoiselle de peur d’être accusé de sexisme. Sans un mot d’excuse ni même un regard, votre voisin de banquette se lève et vous bouscule pour passer. Les semelles crottées sur les sièges, la musique à fond, les serveurs qui râlent et se moquent ouvertement des clients… on connaît tout cela.

L’égalité tant proclamée voudrait qu’il n’y ait aucune hiérarchie dans les rapports humains. « À Berlin, le tutoiement est en passe de devenir la règle dans les restaurants, les magasins, chez le coiffeur », écrit Le Point, et « le ministre vert de l’Économie, Robert Habeck, tutoie systématiquement ». Quand il fait le kéké sur TikTok, notre Président de la start-up nation n’est pas, non plus, très protocolaire… « Les médecins, les psychologues et les psychanalystes » ont beau expliquer que l’emploi du « vous » permet de respecter « une distance indispensable », rien n’y fait : on est tous potes !

On nous explique que « les linguistes situent l'érosion du "vous" en Allemagne à Mai 1968 ». Ainsi, « du jour au lendemain, dans les lycées libéraux, les élèves ont commencé à tutoyer leurs profs et à les appeler par leur prénom. Depuis, on a refait machine arrière. À partir du lycée, les profs sont obligés de vouvoyer leurs élèves et plus personne n'appelle son prof par son prénom. »

Dans ma lointaine enfance, on ne tutoyait pas l’enseignant qui, lui aussi, vouvoyait ses élèves. Même en primaire. La chienlit soixante-huitarde est une gangrène qui a contaminé toute l’Europe. S’y est ajoutée, au fil des ans, la suprématie du globish, cette mode du mauvais anglais qui, là aussi, a gangrené la société. Mais si les Anglo-Saxons disent « you » à tout le monde, ils usent de différents niveaux de langage selon la personne à laquelle ils s’adressent. Encore faut-il disposer du langage qui permet la nuance…

Invoquer le respect, comme la serveuse citée plus haut, est une supercherie. Le tutoiement généralisé, dans les entreprises comme en milieu scolaire ou dans les commerces, n’a qu’un effet : l’irrespect généralisé.

Marie Delarue
Marie Delarue
Journaliste à BV, artiste

Vos commentaires

26 commentaires

  1. Le tutoiement est quand même en fonction de vieux critères enseignés par ma famille une marque de respect, pas de supériorité par rapport à quiconque, ceci m’a d’ailleurs desservi, j’étais administrateur et un jour le président me dit : »si tu veux on peut se tutoyer » et moi bêtement je réponds si vous voulez, ce n’est pas ce qu’il fallait dire, mais il est vrai que j’évoluais. dans un milieu où la fonction fait nous n’avons pas l’habitude de se taper sur le ventre

  2. S’il la vouvoie, elle devrait le vouvoyer au titre de l’égalité. Et en plus « tu prends quoi » au lieu de « qu' »est-ce que tu prends »

  3. L’autorité ne va pas sans prestige, ni le prestige sans l’éloignement (Charles de Gaulle). A l’attention de l’ersatz de président qui fait sombrer la France ! Et le vouvoiement fait partie de l’autorité et facilite le management lorsqu’il s’agit de dire non, ou d’annoncer une décision difficile.

  4. En Belgique, le tutoiement se pratique depuis des décennies. Il est naturel. Ce débordement vers l’Allemagne relève d’une forme de pédantisme idéologique afin de se situer dans l’air du temps. Une application d’esprits faibles. Mais il appartient aux interpellés de réagir. Pour ma part, je suis sévère « Avons-nous nourri les cochons ensemble ? » . Je me lève , m’adresse au gérant, lui transmet mes motivations, et je quitte l’établissement, sans esclandre, posément. J’agis de la même façon avec les courriers en écriture inclusive. Je les renvoie accompagnés d’un post-it « Rédaction irrespectueuse, incompréhensible, non conforme aux règles académiques » . Il ne faut pas rester passifs.

  5. Même au sein de la famille, ne pas permettre le tutoiement entre gendre, belle fille et beau parent.
    Conserver une distance de respect est indispensable , je vous en parle en connaissance de cause.

    • De votre avis Georges Goodman .nous vouvoyons nos « pièces rapportées « et cela n’empêche pas l’affection .c’est ainsi .

    • Moi, mes 4 gendres me tutoient sur ma demande et tout se passe bien, je m’entends avec eux comme si c’étaient mes fils.

  6. Ces politicards allemands seraient-ils devenus aussi c… que nos politicards ? N’ont-ils donc pas de problèmes plus importants et plus vitaux à régler ? Je maintiens que tous ces décideurs devaient vivre 6 mois en banlieue, payés au SMIC, et sans aucune protection ni aucun privilège. Ils remettront les pieds sur terre et songeront à pondre d’urgence des lois pour le bien de leurs peuples.

  7. Quand je vais au restaurant que je connais bien, je connais les gens depuis trente ans et je vouvoie le service, petits gars et jolie serveuse confondus !

  8. Je déteste le tutoiement et les embrassades à tous vents ..on peut même être amis …sans se dire tu …et respect nécessaire pour tous dans le travail et en classe .

  9. Chef de service, j’ai toujours vouvoyé mes collaborateurs, comme ils me vouvoyaient, pour moi pas trop difficile ayant vouvoyé mes parents, je pense qu’une distance est indispensable pour diriger.

    • Pareil j’ai toujours vouvoyé mes collaborateurs et collaboratrices en les appelant monsieur, madame, ce qui n’a pas empêcher certains de faire leur carrière chez moi, je n’ai jamais appelé les gens par leur prénom, ce n’était d’ailleurs pas toujours bien ressenti, question d’époque et de mode. il faut dire que lorsque j’ai débuté mes collaboratrice avaient à peu près mon âge (18/25 ans) et que le vouvoiement levait toute ambiguïté comme cela devait être.

  10. Ça m’est arrivé, mon patron m’a dit un jour, on se tutoie, je lui ai répondu en détournant la conversation par un VOUS … ce n’est pas plus compliqué que ça, pas de familiarité au travail, cela impose le respect !

  11. L’anglais est une langue merveilleuse qui a évité cet écueil. Le respect, si on veut insister dessus, est dans l’intonation.

    • Le néerlandais est plus subtil, ils disent « tu » en français, mais ils pensent « vous » en fonction de moment et de la personne.

  12. Absolument : de l’irrespect . Et que penser de la collègue de bureau montée par tour de passe-passe un tantinet au dessus de vous dans la hiérarchie, qui vous fait la bise et vous tutoie dès le matin alors qu’elle est en train ailleurs de médire et poignarder dans le dos votre carrière et réputation ? Je n’ai jamais supporté qu’on me tutoie (sauf ma propre famille- et pas celle des pièces rapportées, belle mère incluse – et mes vrais amis choisis proches). Même vis à vis de mes camarades étudiants post-68, j’exigeais le vouvoiement. Mes parents se vouvoyaient durant leurs longs 18 mois de fiançailles : Quand on n’a pas gardé les gorets et truies ensemble, on n’a pas !

  13. Le tutoiement engendre souvent une familiarité de mauvais aloi. Une jeune coiffeuse que je voyais pour la première fois s’est permis de me tutoyer. Il n’y a pas eu de deuxième fois !

  14. Irrespect en effet . Ces élus et chefs d’entreprise se comportent comme les racailles , c’est inadmissible . Nous voyons bien ou mènent toutes ces dérives . La société s’encanaille , les gens ne respectent plus rien , ce monde là nous n’en voulons pas .

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