Une infirmière en hôpital semi-privé : « Au début de la semaine, nous avons vu nos chambres désertes… »

infirmière

Marie est élève infirmière, actuellement, en stage dans un hôpital parisien, et témoigne, pour Boulevard Voltaire, de ce qu'elle vit depuis dix jours.

Les établissements privés ont appelé à ce que l'on se « serve d'eux » pour accueillir les personnes contaminées... Leur disponibilité/fiabilité a-t-elle été négligée ?

Étudiante en école d’infirmière, je suis en stage depuis un mois et demi dans un hôpital parisien semi-privé. Depuis la mise en place du stade 2, les lits ont été libérés au maximum pour prévenir l’afflux des malades touchés par l’épidémie. Or, au début de la semaine, nous avons vu nos chambres désertes. Mon service de chirurgie ambulatoire, habitué à recevoir trente à quarante patients par jour, n’en accueille plus qu’une dizaine. En effet, la grande majorité des interventions considérées comme non urgentes ont été suspendues. Au passage, il est important d’évoquer tous ces patients atteints de maladies chroniques ou de cancers qui, faute de pouvoir être soignés, voient leur santé mise en danger. On parle beaucoup des morts du Covid-19, on oublie ceux qui mourront des conséquences de l’épidémie.

Mais au début de la semaine dernière, bien que quelques services soient bien occupés, une grande partie de l’hôpital était à l’arrêt. Même les services clés de réanimation ont encore beaucoup de lits vides. Et pourtant, l’hôpital dispose du plus grand plateau de réanimation d’Île-de-France, avec une trentaine de lits équipés. Pendant ce temps, on entend que les hôpitaux de l’AP-HP (Assistance publique - Hôpitaux de Paris) sont débordés de patients au point de trier les malades et de ne plus savoir comment évacuer les morts. En tant qu’infirmière, je me sens très mal à l’aise à attendre cela alors que, dans les établissements voisins, les soignants ne comptent plus leurs heures de travail. Le président des cliniques et hôpitaux privés de France se manifeste lui-même pour proposer ses lits. De fait, l’hôpital ayant le statut semi-privé, il ne travaille pas en collaboration avec ses voisins. Il en a été de même lors des attentats du Bataclan, en 2015, alors que l’hôpital a de grandes capacités d’accueil et se trouve à la pointe dans de nombreuses spécialités, l’AP-HP ne lui a transféré aucun blessé.

Comment votre établissement s'est-il adapté à l'accueil et au soin des Covid-19 ? Comment vous a-t-on sensibilisée/formée ? Êtes-vous concernés par la pénurie de masques ?

Ces dernières semaines, j’ai senti beaucoup de confusion et de désorganisation face à cette crise inattendue. D’abord dans le programme opératoire qui était modifié en permanence. Mais aussi quant à l’avenir des services qui n’ont cessé de recevoir des informations contradictoires et de déménager leurs patients. En effet, la partie post-opératoire de mon service a successivement fermé puis rouvert pour, ensuite, évacuer tous ses patients et devenir un accueil du coronavirus. En quelques heures, nous avons équipé toutes les chambres de matériel adapté à la prise en charge de ces malades.

L’hygiéniste de l’hôpital est venu nous sensibiliser aux mesures d’hygiènes à adopter. Je me suis rendue compte, à ce moment-là, à quel point ce virus est mal connu et dépasse les scientifiques. En effet, par prudence, et devant le manque de connaissances du virus, les hygiénistes nous imposent les précautions de tous les types, alors que les recherches n’ont, pour l’instant, révélé qu’une transmission de type « gouttelettes ». Malheureusement, celles-ci obligent les soignants à rester très distants des patients et à éviter au maximum les contacts. De fait, comme nous devons enfiler une tenue spéciale à chaque entrée dans une chambre, par économie et par manque de disponibilité, nous ne passons que très peu de temps avec eux à les écouter et les rassurer. Et cela ne fait qu’augmenter leur solitude et détresse.

Pour l’instant, malgré de nombreux vols dans le service, j’ai toujours pu disposer d’un masque FFP2 adapté, même si nous sommes obligés de garder le même pendant six heures sans pouvoir l’enlever ni même boire. Néanmoins, les soignants restent très inquiets quant au stock des équipements de protection.

Le Premier ministre doit s'exprimer ce soir. Qu'attend le personnel hospitalier du gouvernement ? Quel enseignement tirez-vous de cette première semaine ? 

Beaucoup de soignants qui côtoient la mort chaque jour sont consternés de l’attitude des gens face au confinement. Je pense que le personnel hospitalier attend du gouvernement un discours réaliste, qui ne dissimule pas aux Français la gravité de la situation et l’importance des recommandations. À long terme, j’espère que cette crise sera salutaire pour le milieu hospitalier. En effet, n’a-t-elle pas le mérite de révéler, en les amplifiant, les difficultés quotidiennes des soignants confrontés au sous-effectif, sans arrêt sous pression ?

En effet, je découvre le métier depuis six mois et je suis sidérée du nombre de soignants en arrêt maladie, victimes de dépression ou de burn out. Combien se plaignent de ne plus pouvoir exercer vraiment leur métier de relation à l’autre, de ne pas avoir le temps de prendre soin de leurs patients ? Les applaudissements qui retentissent tous les soirs montrent déjà qu’ils sont mieux considérés. Y aura-t-il, ensuite, des mesures pour soutenir l’hôpital ?

Cette première semaine est déjà lourde d’enseignement. Cette crise sanitaire est une réelle remise en question, tant du point de vue de l’organisation de la santé que du rapport à la mort. La science, qui se croyait jusque-là toute-puissante, nous promettant encore et toujours l’immortalité, est mise à genoux par une bactérie. Quelle leçon pour tous les médecins qui ont placé leur confiance dans la science, qui ont manipulé la nature humaine et la vie sans limite !

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