Un Français accusé d’espionnage au profit de la Corée du Nord ? Les coulisses d’une opération médiatique
Quelles que soient les latitudes ou les régimes, il y a espion et espion. Ceux qui livrent des secrets (militaires, économiques ou diplomatiques) à telle ou telle puissance étrangère. Et les autres, qui ne délivrent finalement que de l’influence médiatique, ce fameux « soft power » dans lequel les Américains sont passés maîtres, supplantant même les Soviétiques aux heures les plus chaudes de la guerre froide.
À laquelle de ces deux catégories appartient Benoît Quennedey, haut fonctionnaire du Sénat, arrêté dimanche par la DGSI et suspecté d’avoir transmis des informations confidentielles à la Corée du Nord ?
La première ? L’homme, l’un des administrateurs de la Direction de l’architecture, du patrimoine et ses jardins, au palais du Luxembourg, n’était manifestement pas le mieux placé pour fournir lesdites « informations confidentielles » relevant du secret-défense.
La seconde ? L’hypothèse serait déjà plus plausible. En effet, Benoît Quennedey, qui a consacré deux ouvrages au régime de Pyongyang , La Corée du Nord, cette inconnue et L’Économie de la Corée du Nord, naissance d’un nouveau dragon asiatique ?, est un habitué des plateaux télévisés ; ce qui est précisément le rôle d’un agent d’influence. Il n’est pas le seul, en France, à exercer cette fonction, sachant que tel ou tel journaliste est connu de longue date pour vanter les mérites, réels ou supposés, de telle ou telle nation. En d’autres termes, un agent qui agit à visage découvert n’intéresse pas des services secrets, logiquement plus occupés à démasquer ceux qui œuvrent dans l’ombre.
C’est d’ailleurs ce que rappelle Patrick Maurus, professeur émérite à l’INALCO, Institut national des langues et civilisations orientales :
« Il est vrai que Benoît Quennedey n’a pas ses idées dans sa poche. Mais, même si j’ignore tout de l’espionnage, il me semble le plus mal placé en tant que président de l’Association des amitiés franco-coréennes pour se livrer à ce genre d’activités clandestines. Comme couverture, on aurait pu trouver plus discret. »
Même son de cloche chez Edmond Janssen, qui se dit « marxiste », à propos d’un Benoît Quennedey dont le seul passé politique consiste en un bref passage chez les Radicaux de gauche :
« En quoi un administrateur de l’architecture et des jardins aurait-il pu être un espion à la solde d’une puissance étrangère ? Il aurait livré aux Coréens le plan des espaces verts du Luxembourg ? »
Plus sérieusement, ce type d’arrestation fortement médiatisée obéit à d’autres injonctions : comme toujours, il s’agit d’envoyer des signes politiques à un pays tiers. Ainsi, le 2 octobre dernier, une autre opération, tout aussi médiatisée, mettait en scène une descente des forces de l’ordre dans les locaux du Centre Zahra, à Grande-Synthe, dans le Nord. Ce, au nom de la lutte contre le terrorisme. Qu’est-ce que ce Centre Zahra, dont peu de monde avait entendu parler jusqu’alors ? Le siège de la Fédération des chiites de France, dont le site Internet est en sommeil depuis… mai 2010. Son directeur, Yahia Gouasmi, s’est, lui, fait connaître aux élections européennes de 2009, avec sa liste du Parti antisioniste sur laquelle figuraient l’essayiste Alain Soral et l’humoriste Dieudonné. Soit rien qui puisse mettre en péril à la fois république et démocratie.
Mais il s’agissait seulement d’un signal envoyé à Téhéran. Tout comme la garde à vue de Benoît Quennedey en est un autre, à destination de Pyongyang. Pourquoi aujourd’hui et pas hier ? Tout bonnement parce qu’aujourd’hui, sur l’épineux sujet nord-coréen, l’Élysée n’est pas sur la même longueur d’onde que la Maison-Blanche : Donald Trump serait plutôt partisan de la levée des sanctions internationales contre la Corée du Nord, et Emmanuel Macron un peu moins. Un signal qui s’adresse donc aussi à Washington.
Comme quoi les affaires d’espionnage sont souvent plus flamboyantes sur grand écran que dans les petites arrière-cours du pouvoir.
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