[TRIBUNE] Drapeau en berne et République laïque : un hommage, pas un sacrilège !

« L’Histoire, disait Chateaubriand, est un grand cimetière illuminé. » Et parfois, il arrive que la République elle-même se recueille sur une tombe.
Le jour où un pape s’éteint, c’est plus qu’un souverain spirituel qui disparaît : c’est une page du monde qui se tourne. L’hommage rendu par la France, en mettant ses drapeaux en berne, n’est pas un chapelet égrené au fronton de la laïcité mais un salut à la mémoire d’un homme, chef d’État du plus petit territoire et conscience d’un milliard de fidèles.
Il s’en trouvera pour crier à l’entorse, au sacrilège laïque. Comme si le drapeau tricolore, effleuré par le vent du deuil, devenait tout à coup une bannière pontificale. Mais la France, celle de Clovis, de Voltaire et de Clemenceau, est pétrie de contradictions magnifiques. Elle est capable de séparer l’Église et l’État, un 9 décembre 1905, après avoir fait résonner les orgues de Notre-Dame pour un pape disparu, deux ans avant.
La loi de 1905 n’a pas effacé la mémoire. Elle a tracé une frontière, oui, mais une frontière poreuse aux usages, aux traditions, à ce que la culture conserve quand les dogmes s’effacent. La République n’a pas à être amnésique pour être neutre. Elle peut s’incliner sans se convertir.
« Ce que nous appelons la tradition, écrivait Mauriac, ce n’est pas le passé, c’est la mémoire du passé. » Et la mémoire ne se décrète pas, elle s’entretient. Elle vit dans les gestes, les silences, les signes - même fugitifs - comme ce drapeau abaissé l’espace d’un instant.
Avant 1905, la France rendait hommage à Rome. Les Te Deum, les messes, les deuils officiels... tout cela appartenait à un cérémonial d’État. Lorsque Léon XIII s’éteint en 1903, la République, déjà solidement républicaine, envoie ses condoléances. Il y a là non pas un acte de foi mais un acte de civilisation.
Mettre les drapeaux en berne pour l’inhumation d’un pape, c’est reconnaître le rôle universel que cette figure joue dans l’histoire des hommes. Jean-Paul II fut un acteur de la chute du mur. François est un héraut du climat et du dialogue. Les papes ne parlent pas qu’à Dieu : ils parlent aussi au siècle.
Et si la laïcité s’inquiète, qu’on lui rappelle, avec les mots toujours limpides de Mauriac : « Tout ce qui est humain me touche. » Et comment ne pas être touché, un jour, par la disparition de celui qui, fût-il d’une foi que l’on ne partage pas, aura porté un peu de lumière sur le monde ?
Faut-il, pour rester laïques, devenir sourds à tout ce qui n’est pas nous ?
Faut-il que la République oublie qu’elle fut aussi une grande lectrice de Bossuet et de Pascal ?
Mettre les drapeaux en berne, ce n’est pas trahir la laïcité. C’est faire preuve d’un vieux savoir-vivre à la française : celui qui sait que la neutralité n’est pas l’oubli et que le respect n’est pas la soumission.
Et si la République baisse un instant les couleurs, ce n’est pas pour faire allégeance mais pour saluer, avec cette politesse ancienne des grandes nations, un homme qui, à sa manière, aura habité le monde. Car les grandes civilisations savent encore, parfois, écouter le silence.
Dans un monde saturé de bruit, de postures et d’immédiateté, il est des instants rares où un pays peut suspendre son souffle - non pour prier mais pour penser. La mise en berne d’un drapeau n’est pas un acte religieux, c’est une minute de verticalité dans une époque de platitude.
« La hauteur console de l’absence d’issue », écrit Sylvain Tesson, depuis les cimes. De là-haut, les querelles paraissent bien petites. Et peut-être que la laïcité, elle aussi, gagnerait à grimper un peu, à regarder au loin, à comprendre que l’hommage n’est pas l’hérésie.
Le pape meurt, mais ce n’est pas seulement l’Église qui perd un guide : c’est l’humanité qui s’allège d’une voix. Et quand le drapeau descend, c’est une manière, pour la République, de lever les yeux.
À lire aussi : « Corbière se trompe : la loi de 1905 protège nos racines chrétiennes »
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21 commentaires
Merci pour cette belle analyse
Arrêtons cette polémique stupide. Un drapeau français en berne n’agresse personne, il n’est pas brandi à travers nos rues avec des vociférations comme les étendards étrangers portés par des islamogauchistes au couteau facile.
Le drapeau en berne en hommage au chef de l’Etat du Vatican.
Un hommage identique aurait été rendu au prince de Monaco.
Désolé mais vos arguments ne sont pas convaincants loin s’en faut. Quand les élèves de l’école primaire accompagnaient leur instituteur au cimetière pour commémorer le 11 Novembre 1918 celui-ci nous attendait à la sortie de l’église mais n’assistait pas à l’office religieux la preuve évidente de la séparation de l’état et de l’Eglise (c’était une école publique).
Je trouve que votre écrit est beau et élevé.
Hommage n’est pas soumission : à méditer par les libre penseurs exacerbés qui ne savent pas vraiment ce qu’est le premier, mais n’hésitent pas trop quand il s’agit de la seconde, envers certaine religion « d’amour et de paix »…
La France s’affaisse. Des raisons majeures hors appels aux motifs classiques : désindustrialisation, agriculture, Education, santé.
Ses lois et règlements deviennent un vrai carcan paralysant par leur nombre, qui plus est, exploités et interprétés en fonction des idéologies de ceux qui les manipulent.
Les errements des français soumis au « pas de vagues » . Jusqu’à ne pas animer le petit doigt.
Les tergiversations et oppositions des uns et des autres. Ex : Darmanin veut soustraire les smartphones des trafiquants et consommateurs de drogue. Vous trouvez dans l’instant des opposants et des personnages promptes à couper les cheveux en quatre.
La crainte du risque et de l’effort qui prend sa source dans la faiblesse des caractères
Le défaut d’autorité, qualité nécessaire mais dénigrée
En résumé, les français on perdu leur boussole, le pilote aux abonnés absents.
Des ignares patentés c’est tout.
J’ai beaucoup aimé votre analyse, et toutes les citations de nos Grands hommes, du passé comme du présent, en S.Tesson. Complétée aussi par celle de Ph de Villiers vendredi.
Etre croyant, n’est pas nécessaire, pour l’admettre.
Votre papier me plaît, vos citations m’enjouent. Chateaubriand, toujours, Mauriac, souvent, Pascal pour sa pureté. Mais les papes n’ont pas toujours été sages, ô combien, et ils ont pu conduire en chefs de guerre des missions qui donnaient à penser que leur royaume était de ce monde. Staline ignorait qu’ils possédaient nombre de légions, de divisions.
Ni la Révolution, ni la loi de 1905 ne peuvent en effet effacer une mémoire qui a structuré la République. la laïcité ne peut être autre que fille (agitée) de l’ Eglise. Si elle met son drapeau en berne, c’est par reconnaissance. Elle n’a pas oublié le dernier bastion de sa foi. Et moi, athée, je salue ce geste.
@Baalzack : « les papes n’ont pas toujours été sages », les Papes sont des hommes avec toutes « ses qualités et défauts » et leurs actions servent toujours une cause. Ceci étant, le respect, la reconnaissance, l’admiration etc… font partie des sentiments que la majorité d’un peuple, par le truchement de ses représentants, est en droit d’exprimer.
N’est-ce pas une fiction de faire de « l’histoire de France »un tout glorieux ? Que de désastres répétés depuis 1793 ! 1814-15 , 1870-71 , 1914-18 la fausse victoire , 1939-45 encore une , 1954 , 1962 , et tant d’autres ! Que ça !
Bof, je n’ai pas de drapeau chez moi!
@Radon920604 : c’est votre droit, ce qui est insupportable c’est la critique de ceux qui exerce le leur.
La laïcité n’a rien à voir là-dedans. La France a toujours mis ses drapeaux en berne lors du décès de tous les Chefs d’Etat. Or le Pape est un Chef d’Etat, un point c’est tout !
Oui un drôle de chef d’état.
pas plus drôle que le nôtre de chef d’état!
Même Staline, l’homme aux millions de morts, y a eu droit. Mao sans doute aussi.
Le héraut du climat et du dialogue, surtout avec les autres religions et pas avec les catholiques qu’il singéniait à critiquer voire à tourmenter.
Quant au climat, c’est placer bien haut le pouvoir de l’homme et dénier celui de Dieu.
L’évêque de Rome comme il disait, oui mais pas plus.
c »est bien naturel pour un pays islamisé , cet effort de drapeaux en berne pour un pape qui a fait plus pour les musulmans que pour les chrétiens et en particulier pour les Chrétiens d’Orient qu’il a lachement abandonné !