Elle n’était pas spécialement notre tasse de tisane, mais l’annonce de sa mort nous plonge dans un bain de nostalgie et nous transporte à une époque que les moins de vingt ans…, etc. : on connaît la rengaine du tourne-disque mille fois reprise de la chanson d’Aznavour. Et pourtant ! Les paresseux n’ont retenu de Rika Zaraï que son tube de 1975, « Sans chemise, sans pantalon », sorte de contribution gentillette à la libération post-Mai 1968, après les années en jaquette du gaullisme et pompidolisme réunies. Emmanuelle, sans chemise et sans pantalon, sans presque rien du tout d’ailleurs, ravissait alors son monde, nonchalante dans son fauteuil en osier alors que Giscard rentrait à l’Élysée à l’heure du laitier.

Et pourtant, Rika Zaraï avait interprété bien d’autres chansons avant cette invitation au bain de minuit sous le regard d’une mouette et de quatre dauphins. Avec cet accent qu’elle avait amené d’Israël, et plus précisément de Jérusalem, où elle était née en 1938, comme seul bagage au début des années 60, Rika Zaraï avait commencé sa carrière en première partie de spectacle de Jacques Brel, ce qui n’était tout de même pas mal. Le Belge disait d’elle : « Voici le feu, voici la force, voici la terre. Une autre terre que l’habitude qui déchire par sa tendresse, sa fierté. C’est la vie qui chante. » Cette terre qu’elle chantera en 1968, un an après la guerre des Six Jours : « Yerushala’im ma ville d’or, ville de cuivre et de lumière/Ton nom est dans nos rêves et nos prières ». L’accent de Rika Zaraï ? Celui d’une sabra, c’est-à-dire d’une Juive née en Palestine. En ce début des années 60, la France se lançait dans la collection des accents du monde. Des accents déposés sur les lèvres de chanteuses, brunes ou blondes, venues du soleil ou du brouillard et que la France, bonne fille et parce qu’elle croyait encore en elle-même, adoptait bien volontiers, d’autant que ces chanteuses, de leur côté, adoptaient la France tout aussi volontiers. Dalida, bien sûr, belle et somptueuse comme une reine d’Égypte. Mais aussi Petula Clark, malicieuse Britannique qui donnait à tout le monde l’envie de patauger dans la gadoue chaussé de bottes en caoutchouc. Vinrent, ensuite, les Nana Mouskouri, derrière des lunettes d’institutrice, Linda de Suza et sa valise en carton, Jeane Manson, abonnée aux soirées des Carpentier pour faire le duo avec Joe Dassin ou Carlos, et, évidemment, Jane Birkin qui débarrassera, pour un temps, de leurs complexes les filles plates comme des garçons.

Le tourne-disque de la nostalgie déraille un peu, ce soir. Et pourtant ! « Et pourtant », justement, avant qu’il n’en fasse un tube en la chantant lui-même, Charles Aznavour avait écrit cette chanson pour Rika Zaraï en 1964. Interviewée au micro de Sud Radio par Jacques Pessis, en novembre 2019, la chanteuse se demandait si Aznavour avait cru en cette chanson. N'y croyant pas, il l'aurait refilée à la jeune chanteuse avant de la reprendre pour lui. « Je ne veux pas être prétentieuse, mais j’ai l’impression que ma version lui a montré que c’était une chanson en or. »

La dernière apparition sur scène de Rika Zaraï date du 2 février 2020, à l’occasion de la Nuit de la Déprime aux Folies Bergère. Elle y interpréta avec émotion « Prague », l’un de ses succès de 1966. « Prague était triste avec son manteau de pluie/Prague était triste avec ses rues endormies. » Une chanson mélancolique qui plongeait dans cette Europe de l’Est où étaient ses origines : un père d’Odessa et une mère native de Pologne. Mais puisque nous passons par ces contrées et qu’il ne faut pas sombrer dans la mélancolie, comment ne pas évoquer ce « Casatschok » qui faisait la joie des émissions de variétés alors qu’on se regardait en chiens de faïence de part et d’autre du rideau de fer ?

La France restait tout de même la patrie d’adoption de Rika Zaraï au point de chanter, en 1973, « C’est ça la France ». Une rengaine carrément flonflon évoquant une France désormais sépia : « L’instituteur et le curé/Qui jouent à la pétanque… »

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23 décembre 2020 à 20:29

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