Reconversions : les métiers manuels ont la cote

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Antérieure à la crise du Covid, la tendance se confirme : de jeunes cadres, diplômés, ayant des responsabilités en entreprise, changent un beau jour de voie et se reconvertissent dans des métiers manuels, agricoles, artisanaux. Selon un sondage récent OpinionWay pour L’Atelier des chefs, 37 % des salariés français envisageraient une reconversion vers des métiers manuels, chiffre qui monte à 51 % chez les moins de 35 ans. Ce qui motive cette envie ? L’ennui au travail pour un quart des salariés interrogés, la fierté de produire ou de faire avec ses mains pour un tiers. Le Figaro donne l’exemple de Jean-Clément qui a quitté un cabinet de conseil pour faire de la terrine de bœuf, d’Alliaume devenu plombier après avoir été consultant en transformation digitale…

Jointe par Boulevard Voltaire, voici Emmanuelle, 41 ans. Il y a sept ans, elle a quitté son métier d’attachée de presse dans une maison d’édition parisienne et ouvert sa boutique de brocanteuse et décoratrice. « J’avais toujours été la bonne élève, hypokhâgne, khâgne… À 35 ans, je me suis autorisée une crise d’ado ! Le salariat ne me convenait pas, mais j’ai mis beaucoup de temps à m’en rendre compte. Je suis assez rétive à l’autorité et la contrainte horaire me gênait beaucoup. Les heures de bureau, très peu pour moi ! » Pas une question de paresse puisque, « en volume horaire, je n’ai jamais autant bossé depuis que je suis travailleur indépendant, mais ce n’est pas le même ressenti ».

La crainte d’un déclassement

Envisager une conversion et se colleter aux réalités qu’elle entraîne sont deux choses différentes et tout le monde ne franchit pas le pas. Il y a d’abord à se débarrasser d’un préjugé, ou d'un snobisme. Matthew B. Crawford, philosophe américain devenu réparateur de motos, rendu célèbre par son Éloge du carburateur (Éditions La Découverte), l’a bien décrit : « La génération actuelle de révolutionnaires du management considère l'éthos artisanal comme un obstacle à éliminer. On lui préfère de loin l'exemple du consultant en gestion, vibrionnant d'une tâche à l'autre et fier de ne posséder aucune expertise spécifique. Tout comme le consommateur idéal, le consultant en gestion projette une image de liberté triomphante au regard de laquelle les métiers manuels passent volontiers pour misérables et étriqués. Imaginez à côté le plombier accroupi sous l'évier, la raie des fesses à l'air. »

La seule crainte d’Emmanuelle au moment de franchir le pas ? Le fameux clivage entre métier intellectuel et métier manuel. « Cela m’effrayait de quitter un milieu intellectuel comme l’édition. Je me disais que mes collègues allaient être, au quotidien, le boucher, la coiffeuse. J’avais peur de me déclasser en passant à un métier à la fois manuel et commercial. En réalité, les échanges avec les clients sont enrichissants et les gens que je fréquente durant une journée sont bien plus variés que du temps que j’étais attachée de presse. Mon horizon ne s’est pas réduit, au contraire. »

Le retour au réel

Être son propre patron, ce sont des responsabilités plus grandes – pour le meilleur ou pour le pire. « Dans un boulot salarié, explique Emmanuelle, il y a une chaîne de production qui fait que tu ne sais jamais concrètement quelle est ta part du succès ou de l’échec. Quand tu es indépendant, tu es directement responsable des échecs comme des réussites. Les échecs te font te remettre en question, et les succès, tu les savoures pleinement. »

Moins attendu, pour 61 % des salariés, le développement de l’intelligence artificielle (IA) serait une autre raison de changer de branche. Pas seulement parce qu’il entraînera des licenciements (exemple récent à Courbevoie, où 217 salariés vont être licenciés au profit de l’IA « quatre fois plus rapide et dix fois moins chère »). Il semble que l’homme n’ait pas envie d’avoir comme collègue et encore moins comme patron le Léviathan numérique qui devient toujours plus tentaculaire et omnipotent. L’IA donnerait plutôt « envie de se tourner vers une activité concrète et manuelle », dit le sondage.

Il y a une saine tendance dans ce retour au manuel et au réel. L’homme qui « a affaire à la matière organisée » (Ramuz) s’épanouit davantage que celui dont le travail se résume de plus en plus à un tête-à-tête avec un écran, épuisant psychiquement. Conclusion de notre brocanteuse parisienne : « Soyons clair, en changeant de travail, j’ai divisé mon salaire par trois. Mais ouvrir ma boutique est chaque matin un plaisir renouvelé. »

Samuel Martin
Samuel Martin
Journaliste

Vos commentaires

18 commentaires

  1. On est passé : d’avoir, de pratiquer un métier à… rechercher un emploi ! Bien sûr, l’apprentissage était réservé aux soit-disant  » pas très bons à l’ école ». Quelle honte ! Les Allemands faisaient l’inverse sur ce point. L’apprentissage d’un métier, chez un patron avec un peu de chance ( tous les grands cuisiniers_ pour ne parler que d’eux _ ont commencé ainsi ) quoi de mieux ? ( P. Bocuse a commencé à la plonge etc ). Mais aujourd’hui, on nous parle de CSP+ ( sinon on n’est pas grand’chose ). Les CSP au moins, il vendent des contrats, des « produits » etc Bref, vivement un retour à l’artisanat, à la belle ouvrage, à ceux qui font de bonnes et belles choses de leurs mains, au bon goût, aux vraies richesses, aux vrais métiers…

  2. A lire : Bullshit jobs de David Graeber, anthropologue, créateur de la notion de bullshit job (« boulot à la con »).

  3. Preuve que l’Education Nationale a tout faux en favorisant la baisse de niveau et en se glorifiant d’avoir plus de 90% de réussite au Bac. Celà encourage les jeunes à continuer leurs études et à courir vers l’échec assuré pour les 3/4 d’entre eux. Une société n’a besoin que de 10 à 20% d’intellectuels (et encore, avec ChatGPT, ce n’est plus sûr). Par contre, on a toujours besoin de boulangers, bouchers, menuisiers, maçons, agriculteurs, éleveurs, commerçants,….. Moi, j’ai quitté l’école à 14ans et ne le regrette pas. Revenons aux 14ans pour l’apprentissage !

    • Ah, vous me battez; moi j’ai quitté à 15 ans. Je n’ai pas eu à le regretter. J’ai de suite trouvé un travail; puis « le » travail qui me correspondait ( il y a un bail tout de même ). J’ai continué d’apprendre, de connaitre etc et je suis toujours gêné lorsque des personnes me présentent comme « cultivé »… ( littérature et nombre de domaines qui me plaisent ).

  4. Ce qui retient la plupart, c’est de perdre la sécurité de leur salaire qui tombe chaque mois ; qu’ils bossent dans le privé et à fortiori dans le public. Pour ma part, j’ai fait cela, mais en continuant mon ancien métier, ce qui m’a permis une transition douce sur une dizaine d’années. Être dans l’événementiel le lundi et consultant RH le mardi est assez exaltant. Sauf que peu à peu, l’investissement affectif donné au nouveau métier passion, élimine peu à peu l’ancien, que vous le vouliez ou non. Et on peut, dans son nouveau métier, gagner autant voire plus. Et on peut aussi , même si c’est un métier concret, rencontrer des gens plus prestigieux que les cadres de l’industrie.

    • Le rêve des années 50-60 pour les ouvriers agricoles itinérants sans terre ni cheptel : Avoir l’argent qui tombe tout cru à la fin du mois et tous ses enfants fonctionnaires ( de qui de quoi, savent pas mais sont contents et même fiers comme des paons); Comme ça peuvent buller devant la télé tous les WE et tous les soirs de semaines dès 18 h : Ah, le beau modèle de vie !

  5. OUF ! le travail manuel reprend sa place et même les soit disant  » intellectuels  » y reviennent !
    Ils ont enfin compris que pour se servir de ses mains il faut une tête bien faite et le respect de la matière et l’amour d’un métier productif ! Par contre l’intellectuel est souvent manchot et ne sait pas se servir de ses mains !!!

  6. C’est là où les politiques de l’éducation nationale passent à côté de la plaque, pourquoi ne pas demander aux retraités anciens travailleurs manuels de venir exposer aux jeunes adolescents des collèges, l’amour de leurs métiers, afin de les inciter dans des voies plus porteuses que pole emploi.

  7. J’ai eu 20 ans en 1958, ce qui m’autorise un certain recul. A cet âge là j’ai pu constater les débuts de la dévaluation des métiers manuels. On commençait à fabriquer des bacheliers à la pelle, ceux de cette époque sachant toutefois lier, écrire et compter correctement. Par contre les chantiers de BTP commençaient, eux, à fonctionner grâce à la présence de maghrébins, de plus en plus nombreux. Les sixties auront été une belle époque pour les amoureux de la musique jazzy, mais aussi une catastrophe pour notre société.

  8. C’est bien de prendre conscience de l’utilité des métiers manuels à « un âge déjà avancé » ! Ce serait mieux de l’inculquer aux jeunes par le biais de l’éducation nationale plutôt que de leur offrir un bac dévalorisé à 90% d’entre eux pour ensuite en faire des candidats à Pole emploi.

  9. L’intelligence de la main a vite été mise de côté alors qu’elle est d’une importance évidente dans la formation de l’esprit.
    L’enseignement technique a été mis à l’index, ce qui en a détourné nombre de jeunes, lesquels ont fini par aboutir dans des formations supérieures aux débouchés plus qu’incertains dont ils sortent diplômés ou pas mais avec amertume.

  10. Tout de même , avoir un enfant en école de commerce ou à « sciences- popo » ça reste le must de la réussite sociale .
    Comment gagnera-t-il sa vie , sera t-il heureux ,valorisera t-il ses talents , pourra t-il rendre service à ses voisins ? Quelles questions saugrenues ! Et après on fait mine de s’étonner de tous ces bilans de compétences précédés ou non de burn-out .

  11. Très bien , quoi de plus gratifiant que de faire travailler ses mains et son cerveau . Et combien tous ces artisans sont utiles dans notre quotidien .

    • Tout à fait ! On a tant dévaloriser le travail manuel ! Mais quand nous avons besoin d’artisans, nous sommes bien contents de les trouver !

  12. Il est vrai que réparer un objet est jouissif, c’est le plaisir de la réussite. J’avoue que voir quelqu’un prendre un morceau de bois et en faire bel objet, ça me fascine. Il en est de même d’un tableau quand le peintre restitue ce que je vois, le montres molles de Dali, fantastique, Picasso, non, sauf dans ses débuts.

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