Pourquoi Éric Dupond-Moretti n’a pas grand-chose à craindre de la CJR

Dupond-Moretti

Voilà bientôt dix jours qu'Éric Dupond-Moretti est jugé pour prises illégales d'intérêts devant la Cour de justice de la République. Une infraction pour laquelle, selon le Code pénal (article 432-12), il encourt théoriquement cinq ans d'emprisonnement et 500.000 euros d'amende ainsi qu'une éventuelle interdiction d'exercer une fonction publique. Notre garde des Sceaux, maintenu en fonction par la bienveillance d'un Emmanuel Macron violant allégrement sa promesse de campagne de 2017 (« Un ministre mis en examen doit démissionner »), devrait être définitivement fixé sur son sort d'ici le 16 novembre. Sauf surprise de dernière minute, gageons que, fidèle à sa légendaire clémence, cette institution d'exception qui n'a été conçue que pour des hommes d'exception (elle est la seule habilitée à juger des Premiers ministres, ministres ou secrétaires d'État pour des crimes et délits commis dans l'exercice de leurs fonctions) saura faire preuve d'humanité.

Une juridiction traditionnellement clémente

« Selon que vous serez puissant ou misérable, les jugements de cour vous rendront blanc ou noir » : ce vers de Jean de La Fontaine (Les animaux malades de la peste) semble avoir été écrit pour la CJR. Créée en 1993 pour juger les responsables dans l'affaire du sang contaminé, elle aura, en trente d'existence, jugé dix personnalités et prononcé quatre relaxes : celles de Laurent Fabius et Georgina Dufoix, respectivement Premier ministre et ministre des Affaires sociales et de la Solidarité nationale, malgré la centaine de victimes décédées et les 2.000 enfants touchés par la contamination VIH des poches de sang contaminées. Ségolène Royal (poursuivie en diffamation par des enseignants dans une affaire de bizutage en 2000) et Édouard Balladur (affaire de financement occulte de sa campagne présidentielle en 2021) seront, eux aussi, relaxés.

Les condamnés s'en sortent avec seulement quelques égratignures : la CJR, qui ne prononcera que cinq condamnations toujours assorties de sursis pour les peines de prison (dont Charles Pasqua dans une affaire de détournement de fonds au préjudice de la société Sofremi), dispensera de peine Christine Lagarde (pourtant « reconnue coupable » dans une affaire d'arbitrage impliquant Bernard Tapie) et l'ancien secrétaire d'État à la Santé Edmond Hervé (affaire du sang contaminé).

Des anciens accusés promis à un bel avenir

Une jurisprudence plus qu'encourageante pour Éric Dupond-Moretti. D'autant que les parcours professionnels de certains anciens accusés après leur passage devant la CJR n'ont rien de dissuasif : sans aucun obstacle, Laurent Fabius retrouvera un siège de ministre sous Lionel Jospin puis sous François Mitterrand avant de rejoindre la présidence du prestigieux Conseil constitutionnel. Christine Lagarde deviendra directrice du FMI avant de prendre la direction de la Banque centrale européenne (BCE).

Preuve que les procédures de la CJR n'impressionnent nullement les politiques et que les accusés ne sont pas des pestiférés : perçue comme une « provocation » par une partie de la classe politique, la remise de la Légion d'honneur à Agnès Buzyn a eu lieu en janvier 2021, époque où elle était mise en examen pour « mise en danger de la vie d'autrui » dans le cadre de sa gestion de la crise Covid-19. L'annulation, par la suite, de la procédure par la Cour de cassation rendra bonne conscience aux autorités et virginité à l'ancien ministre de la Santé.

Cette partialité de la Cour de justice de la République liée, selon les mauvaises langues, à sa composition (seuls trois magistrats professionnels entourés de douze parlementaires, six élus de l'Assemblée nationale et six élus par le Sénat) finit par lasser. Au point qu'il est régulièrement question de la supprimer. François Hollande l'avait promis en 2012. En 2013 et 2019, deux projets de loi constitutionnels prévoyaient de l'éradiquer, renvoyant du même coup les ministres au sort du commun des mortels devant les juridictions pénales de droit commun. Programme tombé aux oubliettes, depuis. Éric Dupond-Moretti peut continuer à dormir sur ses deux oreilles.

Sabine de Villeroché
Sabine de Villeroché
Journaliste à BV, ancienne avocate au barreau de Paris

Vos commentaires

21 commentaires

  1. Vu la réquisition suite au procès, un an de prison avec sursis rien de surprenant une lamentable comédie judiciaire où le récipiendaire est le patron de ceux qui le jugent. Quelle farce dont le peuple n’est pas dupe.

  2. Ce procès est une farce pathétique qui déshonore la puissance invitante comme l’invité. Il est dans la droite ligne du fameux mur des cons.

  3. un ministre de la justice corrompu ainsi que les magistrats que le juge et la CJR quiest encore plus
    encore un qui ne sera jamais condanné peut être quand un nouveau gouvernement sera en place ce qui ne saurait tarder j’espére at mettre aussi dans le sac le président

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