Ofelia Acevedo : « Le régime cubain reste totalitaire »
Le 22 juillet 2012 disparaissait, dans un « accident », le dissident cubain Oswaldo Payá Sardiñas. Prix Sakharov 2002, il était surnommé le « Lech Wałęsa cubain ». Alors que Cuba s’est dotée d’un nouveau président et d’une nouvelle Constitution, alors que le ministre Jean-Yves Le Drian était récemment en visite sur l’île des Castro, nous avons interrogé Ofelia Acevedo, la veuve de celui dont la mort constitue une "perte irréparable" » pour le peuple cubain, selon les mots de Benoît XVI.
Six ans après, où en est l’enquête censée élucider la mort de votre époux ?
Il a été prouvé que la mort de mon mari était un attentat délibérément provoqué par des agents de l'État cubain. Tout cela a été démontré par l’organisation Human Rights Foundation. Son rapport légal est, par ailleurs, consultable en ligne. Cela étant, j’attends encore le rapport officiel de l’autopsie pratiquée par les médecins Oswaldo et Harold Cepero. Je l’ai sollicité par tous les canaux légaux et officiels à de multiples reprises lorsque j’étais à Cuba et depuis Miami, où je vis actuellement. Mais le gouvernement Castro est inflexible.
En octobre dernier, j’ai décidé, néanmoins, de revenir à Cuba pour tenter ces démarches personnellement auprès des autorités afin d’obtenir enfin ce rapport. Il m’a été interdit d’entrer dans mon propre pays. Un comité du ministère de l’Intérieur cubain m’attendait à l’aéroport de La Havane et m’a expulsé de Cuba par le premier avion. Au mépris de mes papiers et documents parfaitement en règle visés par l’ambassade cubaine à Washington. Concernant l’attentat qui a coûté la vie à mon mari, ma famille a sollicité une révision du jugement auprès du ministère de la Justice cubain. Cela nous a été aussi refusé.
Concernant la mort de votre mari, plus précisément ? Qu’est-ce qui vous permet de penser que l’enquête a été bâclée, voire falsifiée ?
J’ai été rapidement mise au courant de l’attentat perpétré contre la voiture transportant mon mari grâce aux messages et SMS envoyés par les survivants à des amis situés à Madrid et à Stockholm. Tout porte à croire que l’attentat a été maquillé en accident. Cette hypothèse est étayée par les analyses scientifiques réalisées par des experts indépendants, toutes consultables dans le rapport de la Human Rights Foundation.
L'ouverture économique actuellement expérimentée à Cuba est-elle un signal annonciateur de la liberté politique pour l'avenir ?
À Cuba, jusqu'à maintenant, perdure un système social, politique et économique totalitaire. C'est le gouvernement qui contrôle tous les moyens de production. La soi-disant ouverture économique n’est que de la poudre aux yeux. En réalité, les citoyens cubains ne disposent d’aucun droit économique ni de garantie sur la liberté d’entreprendre et la propriété privée. Le citoyen ne dispose pas de personnalité juridique nécessaire pour faire du commerce avec des entreprises étrangères. Cela reste l’apanage de l’État. Ils ne peuvent prétendre qu’à de petits commerces dont la taille est sévèrement limitée par la loi. Le gouvernement reste le propriétaire absolu du pays et des ses citoyens. Seules sont tolérées les prestations de services si, et seulement si, cela concerne des citoyens ayant manifesté une allégeance pleine et entière au régime communiste. Chaque grand restaurant est la propriété de personnes extrêmement riches qui gravitent dans les sphères du pouvoir politique. Dans la pratique, le Parti communiste continue de guider la société et l’État. Cette constante ne changera pas avec la nouvelle Constitution.
Pour le moment, le régime castriste marche allègrement sur la volonté populaire de changement et son aspiration à des élections libres et pluralistes. Tant que ce régime perdurera, aucune amélioration n’est à prévoir.
L'élection de Díaz-Canel a suscité quelques petites espérances au début. Avez-vous remarqué un quelconque changement, depuis ?
Il n'y a eu, malheureusement, aucun changement jusqu'à maintenant. Et cela n’arrivera pas. Díaz-Canel lui-même a reconnu, dans son premier discours à la nation que, "Raúl Castro continuerait à prendre les décisions". Parce que c'est Castro lui-même qui l'a nommé, Díaz-Canel garantit la continuité du castrisme.
Justement, quel avenir pour Cuba avec Diaz-Canel ?
Quel avenir ? Díaz-Canel et les généraux qui sont au pouvoir vont faire tout ce qu'ils peuvent pour se maintenir au pouvoir. La liberté, la prospérité et la démocratie, pour moi, ne viendront pas avec Díaz-Canel. Il n'y a pas d'avenir dans le totalitarisme. Il est sûr que le chemin à suivre n'est pas le parti unique communiste comme "régent" de la société, comme le dit la Constitution actuelle et que corrobore la nouvelle Constitution. Ces Constitutions ont pour vocation à confisquer l'avenir de tous les Cubains. Mais, j’en suis certaine, rien n’enrayera la volonté de changement du peuple cubain. Mais cela passera par la chute des Castro et de leurs amis.
Lors de sa visite à Cuba, le ministre des affaires étrangères français, Jean-Yves Le Drian, n'a pas insisté sur les droits de l'homme. Vous auriez souhaité qu'il aborde la question ?
La complaisance avec la dictature cubaine de personnalités politiques européennes est un scandale, auquel a contribué le ministre des Affaires étrangères français, comme nous avons malheureusement pu le constater lors de sa récente visite à Cuba. Le ministre avait l'occasion de se ranger du côté des Cubains et non du côté des dictateurs. J'aurais aimé que le ministre soutienne le droit des Cubains à décider et élire librement ses représentants, droit dont bénéficient les Français.
Comment les Cubains perçoivent-ils la France ?
Ils la perçoivent de très loin. Il est quasiment impossible de la connaître personnellement pour la grande majorité des Cubains. Ils savent que c'est un pays de premier plan dans le monde, libre et démocratique, mais qui ne montre aucune solidarité avec les aspirations du peuple cubain.
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