Hommage au médecin capitaine Marc Laycuras… et à ceux qui embrassent sa profession

Marc Laycuras

Cette nuit, alors que les Français continuaient, entre grand débat et gilets jaunes, à se déchirer, on a appris la mort, au Mali, d’un jeune médecin militaire français. « Marc Laycuras est mort lors du déclenchement d'un engin explosif improvisé au passage de son véhicule blindé lors d’une opération de lutte contre les groupes armés terroristes », a annoncé l’Élysée. Il était âgé de 30 ans. Issu de la Corrèze rurale par son père (sous-préfet de Bernay, celui-ci confiait aux journalistes : « Si je ne parviens pas à remplir ma mission, je repartirai chez moi pour devenir berger »), il avait rejoint l’École du service de santé des armées de Bordeaux en 2007.

L’occasion de rendre hommage, en passant, à ceux qui remplissent leur mission sans bruit, au prix de tant de sacrifices, jusqu’à celui de leur vie, et en particulier à cette profession trop peu connue qu’est la médecine militaire. Ceux qui l’embrassent servent deux fois : parce que médecins et parce que militaires.

L’un d’entre eux, aujourd’hui âgé, répète souvent cette boutade célèbre : la médecine militaire est à la médecine ce que la musique militaire est à la musique. Peut-être parce que sur le terrain, dans l’urgence, le danger et l’inconfort, on pratique plus souvent la chirurgie façon clairon et grosse caisse que violoncelle et flûte traversière. Pour le reste, évidemment, les études et les diplômes sont les mêmes. Il disait, pour lui, devoir sa vocation à son père qui, ayant fait la Grande Guerre, lui répétait à l’envi que, dans un régiment, l’homme le plus important était le médecin : s’il décidait, pour raison de santé, d’immobiliser le régiment, le colonel lui-même s’inclinait. En rongeant son frein. C’est justement en 14-18, face à la souffrance et au désarroi des soldats, que la médecine des tranchées a fait faire à la médecine « tout court » d’immenses progrès à marche forcée : anesthésie, transfusion, greffes…

Mais l’œuvre, dans l’ombre et l’humilité, de ces médecins militaires - issus, comme le jeune Marc Laycuras, de l’École bordelaise de Santé Navale, aujourd’hui fermée - pourrait longuement se décliner. Notamment par-delà les mers, où ils ont fait œuvre humanitaire. S’il est un corps que tout gouvernement, évoquant la colonisation, pourrait saluer sans craindre de gaffer ou déraper, c’est bien celui-là. Les aigres accusations de « paternalisme » ne pèsent guère à côté des bénéfices démographiques prodigieux pour les populations.

On prête au professeur Maurice Payet, premier doyen de la Faculté de médecine et de pharmacie de Dakar, ces propos : « Y a-t-il au monde plus petite équipe d'hommes ayant rendu plus de services à l'humanité souffrante ? Y a-t-il au monde œuvre plus désintéressée, plus obscure, ayant obtenu de si éclatants résultats et qui soit pourtant ignorée, aussi peu glorifiée, aussi peu récompensée ? Qui peut prétendre avoir fait mieux, où, quand et comment ? »

C’est précisément au large de Dakar, sur l’île de Gorée, que l’on peut encore voir un monument rendant hommage aux médecins et pharmaciens français - ces navalais, comme on les appelait - morts de fièvre ou d’épidémie… ils sont nombreux. Sur 5.000 officiers médecins, 400 y ont laissé la vie, sans compter leur famille.

Pour 80 à 90 % d’entre eux, ils soignaient des populations civiles, développant maillage sanitaire, programmes de vaccination, protection maternelle et infantile, vainquant l'invincible : lèpre, tuberculose, peste, choléra, maladie du sommeil, paludisme (l’hématozoaire fut découvert par le médecin militaire Alphonse Laveran), fièvre jaune, variole (éradiquée), etc.

En ce mercredi, à l’Assemblée, députés et gouvernement se sont levés pour observer une minute de silence, enfin réunis autour du sacrifice, du bien commun et de la patrie. On cherche désespérément, en se grattant la tête, des valeurs autour desquelles réconcilier les Français… peut-être, est-ce dans la direction donnée par le médecin capitaine Marc Laycuras qu’il faut regarder. Qu'il repose en paix.

Cet article a été mis à jour pour la dernière fois le 04/04/2019 à 20:56.
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Gabrielle Cluzel
Directrice de la rédaction de BV, éditorialiste

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