Édouard Philippe face à Laurent Wauquiez : le pouvoir n’a pas été là où on l’attendait

Je voudrais revenir sur "L'Émission politique" de France 2 qui avait invité, le 27 septembre, le Premier ministre.

Sa prestation a été honorable [...]. Mais on ne pouvait qu'être frappé, au cours de toutes les séquences qui l'ont opposé à d'autres qu'aux journalistes - hôpital, maire, retraitée - puis à Laurent Wauquiez, par le malaise qui l'habitait et qui tenait tout simplement sur les sujets concernés et dans ce dialogue vigoureux, à l'impossibilité de justifier l'injustifiable.

Sa rhétorique était en effet désarmée face au constat noir qui lui était, sans fard mais sans grossièreté, présenté. Le prenant de plein fouet, il en était réduit à admettre qu'il ne l'ignorait pas mais de la sorte, une fois qu'il avait rendu hommage à l'utilité du débat, il n'avait plus de quoi argumenter, se trouvant sec puisque, précisément, sa besace était vide confrontée au trop-plein de récriminations trop réelles. Avec vaillance, il s'efforçait de produire des données chiffrées pour tenter de prouver que l'intolérable, la pénurie, la diminution des moyens et des crédits étaient non seulement douloureux et qu'il compatissait mais qu'ils étaient nécessaires. Et, sur ce plan, c'était peine perdue.

Face au peu encore diminué d'une retraitée, à l'appauvrissement des services hospitaliers et aux mairies qui se plaignaient des privations qu'on leur imposait, l'objectivité des calculs n'était d'aucun secours et, au contraire, paraissait aggraver le hiatus entre le Premier et les citoyens.

Il n'y pouvait rien. Il payait la rançon d'un pouvoir qui s'était mis dans une impasse. Accomplir des actions dont l'explication - le grand mot d'Édouard Philippe - était socialement et politiquement inconcevable, inacceptable. Le Premier ministre semblait lui-même marri de ne pouvoir offrir rien d'autre qu'une écoute navrée et de bonne volonté.

[Laurent Wauquiez et Édouard Philippe] ne s'appréciant pas, on a eu droit à un authentique duel caractérisé en particulier par deux formules chocs : vous avez un problème avec la vérité, a accusé Édouard Philippe, qui s'est vu vertement rétorquer : et vous, vous avez un problème avec la réalité !

Sur l'immigration et très peu sur l'Europe - il restait trop peu de temps -, Laurent Wauquiez a déroulé une série d'affirmations et de prévisions qui n'étaient pas d'ailleurs battues en brèche par le Premier ministre. Ils semblaient donc peu ou prou s'accorder sur la menace, son ampleur et le défi qu'elle représentait pour un pouvoir responsable et efficace.

Édouard Philippe s'est laissé piéger puisque, à chaque fois que Laurent Wauquiez le questionnait sur ses intentions, il se contentait de lui demander ce que lui ferait. On avait l'impression que Laurent Wauquiez était celui qui détenait le pouvoir et que le Premier ministre, incertain, mal à l'aise, lui demandait des conseils. Comme Édouard Philippe se montrait incapable de proposer des réformes et des rigueurs opératoires, il manifestait son impuissance et, dans le meilleur des cas, on était fondé à ne lui reconnaître que le mérite de savoir théoriser avec talent mais avec contrition ses impuissances.

Le pouvoir n'a pas été là où on l'attendait.

Le Premier ministre a, une seconde fois, payé la rançon du pouvoir. Avoir été réduit à faire comme si lui ne le détenait pas mais l'autre !

Il n'y a pas de quoi se réjouir de cette prestation d'Édouard Philippe. Qu'on soit pour ou contre lui. Car elle a trop démontré que la France est accablée par des problèmes d'une gravité extrême et que la solution demeure pour le moins virtuelle. On admet le diagnostic mais on est perdu pour le remède.

Un futur guère rassurant.

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Philippe Bilger
Magistrat honoraire - Magistrat honoraire et président de l'Institut de la parole

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