Ce « jour sombre » où l’on a inscrit dans la loi le droit de tuer

Conditions d'accès floues, boîte de Pandore juridique et une notion du délit d'entrave "élastique" pour Hervé de Lépinau
Hervé de Lépinau (capture d'écran)
Hervé de Lépinau (capture d'écran)

Voilà, c’est fait : par 305 voix contre 199, l’Assemblée nationale a adopté en première lecture, ce mardi 27 mai, la loi dite « sur l’aide à mourir ». Avancée pour les uns, régression pour les autres, c’est une transgression éthique – une de plus – qui constitue un véritable bouleversement anthropologique.

Tout d’abord, au-delà du travestissement des faits par les mots – il s’agit d’un suicide assisté -, il faut se pencher sur ce que dit le texte porté par le député Olivier Falorni. Pour être éligible à l’aide à mourir, le requéreur doit remplir cinq conditions cumulatives.

Des conditions d’accès plus que floues

Pour pouvoir être candidat au suicide assisté, il faut :

– être majeur ;

– être de nationalité française ou résider de façon stable et régulière en France ;

– être atteint « d'une affection grave et incurable, quelle qu'en soit la cause, qui engage le pronostic vital, en phase avancée » ou « terminale ». La phase avancée se définit comme « l'entrée dans un processus irréversible marqué par l'aggravation de l'état de santé de la personne malade qui affecte sa qualité de vie » ;

– témoigner d’« une souffrance physique ou psychologique constante soit réfractaire aux traitements, soit insupportable selon la personne » lorsqu'elle a « choisi de ne pas recevoir ou d'arrêter » un traitement. En est exclue la « souffrance psychologique seule » ;

– enfin, il faut être « apte à manifester sa volonté de façon libre et éclairée ». Ne sont pas éligibles les personnes dont le discernement est « gravement altéré ».

Il ne faut pas être grand clerc pour comprendre que les restrictions inscrites dans ce texte ne sont que des digues mouvantes dénoncées par la plupart des soignants. En vain. Comme le soulignait Mgr Rougé, évêque de Nanterre, dans une interview à La Croix, tout cela s’est tramé dans une « surdité volontaire à l’égard d’une foule de médecins, juristes, psychologues, philosophes, associations et acteurs de terrain, croyants ou non, de gauche comme de droite ».

Une clause de conscience est certes instaurée pour les professionnels de santé, à condition toutefois qu’ils communiquent au demandeur la liste des personnes pouvant accéder à leur requête. Elle n’est pas tolérée pour les établissements de soins ni les pharmaciens. Mais la loi institue un « délit d’entrave », identique à celui mis en place pour l’avortement. Ainsi, « est puni de deux ans d’emprisonnement et de 30.000 euros d’amende le fait d’empêcher ou de tenter d’empêcher de pratiquer ou de s’informer sur l’aide à mourir par tout moyen, y compris par voie électronique ou en ligne, notamment par la diffusion ou la transmission d’allégations ou d’indications de nature à induire intentionnellement en erreur, dans un but dissuasif, sur les caractéristiques ou les conséquences médicales de l’aide à mourir ».

La boîte de Pandore juridique

Hervé de Lépinau, député RN de Vaucluse, avocat de profession, souligne « le caractère élastique de la notion d’entrave ». En vertu de l’article 2 du Code de procédure pénale, « les associations comme l’ADMD (Association pour le droit à mourir dans la dignité) pourront attaquer toute personne qui utiliserait les mots d’"homicide" ou de "suicide assisté", considérant que ces propos sont assimilable à des pressions, nous dit-il. Il ajoute : Tout ce qui est aujourd’hui appliqué pour l’IVG le sera pour l’aide à mourir. »

Seul succès, dans le combat mené par le député de Vaucluse : le retrait de l’amendement demandant l’inscription de la mention « mort naturelle » sur les certificats de décès. Ce « mensonge anthropologique et médical était vraiment trop gros, dit-il. En effet, comme il l’a exposé devant l’Assemblée, la mort est naturelle quand il n’y a pas le concours d’un tiers, et vouloir écrire le contraire est un mensonge juridique ». Comme il le rappelait à ses confrères, « s’il y a présomption de mort naturelle sur le certificat de décès, allez donc dire à un officier de police judiciaire qu’il conviendrait quand même d’enquêter pour essayer de déterminer l’origine de la mort », sachant qu’« il n’y a pas que des personnes bien intentionnées dans l’entourage d’une personne en fin de vie ». Inscrire automatiquement cette mention de mort naturelle est à la fois « un mensonge anthropologique et médical ».

Ce 27 mai 2025, en faisant entrer le droit de donner la mort dans le droit positif français, nous avons « transgressé une loi universelle, celle qui dit "tu ne tueras point". C'est un jour sombre », nous dit Hervé de Lépinau.

Dans les rangs LR comme dans ceux du Rassemblement national, 15 % des députés ont voté pour cette loi, signe d’un changement profond de la société, dit le député, avant de souligner que les députés d'origine maghrébine et polynésienne se sont, eux, abstenus ou ont voté contre. « Il aurait fallu descendre dans la rue, nous dit-il, se mobiliser comme on l’avait fait pour le maintien de l’école libre ou encore la Manif pour tous. Mais peut-être est-ce cela que nous payons : les gens se disent "à quoi bon ?" »

 

Cet article a été mis à jour pour la dernière fois le 03/06/2025 à 11:32.
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Marie Delarue
Journaliste à BV, artiste

Vos commentaires

52 commentaires

  1. Avant cette nouvelle loi -dont les termes définitifs ne seront connus qu’après approbation par le Sénat- j’aurais envisagé d’exprimer la volonté suivante : « cas de douleurs intolérables, je demande à ce que me soient administrées les doses d’antalgiques nécessaires à la cessation de la douleur, quitte à ce que cela me plonge dans le comas et abrège mes jours ». Mais la nouvelle loi régissant les conditions de « l’aide à mourir » change la donne. Elle devrait au moins permettre -et encourager- le suicidant à indiquer dans son certificat de décès, le motif de sa décision de mettre prématurément fin à ses jours. Une telle information parait indispensable afin permettre une étude épidémiologique des conditions d’application de cette loi et de son impact. Dans ce contexte, si à l’avenir j’avais recours à l’application de celle-ci, je pourrais écrire le motif suivant : « je cède aux pressions moralisatrices résultant des idéologies « progressistes » qui me suggèrent de mettre prématurément fin à mes jours afin de ne plus être une charge coûteuses pour la société ».

  2. Sur le compte Instagram de Line Renaud, vous pouvez lire le message de Gabriel Attal qui salue une immense victoire MAIS SEULEMENT UNE PREMIÈRE ÉTAPE.
    Pour tous les naïfs qui croient que ça va s’arrêter là !
    N’oublions pas que l’avortement devait n’être qu’une exception en dernier recours… et qu’on peut maintenant pratiquer une interruption médicale de grossesse jusqu’à neuf mois! À neuf mois, cet amas de cellules, ça s’appelle un enfant !

  3. Arrêtez de dire que cette loi va faire « entrer le droit de donner la mort dans le droit positif français » : c’est fait depuis 50 ans, avec la loi Veil ! Quant à la « clause de conscience », elle existera toujours.
    Les différences majeures, c’est que, contrairement à l’IVG,
    – ce sera l’intéressé qui décide de sa mort, pas la femme enceinte ou son entourage (le foetus n’ayant évidemment pas les moyens de faire savoir s’il souhaite voir le jour ou pas)
    – il est explicitement prévu une solution alternative : les soins palliatifs, alors que pour celles qui ont recours à l’avortement faute de pouvoir assumer (psychologiquement, familialement, socialement, matériellement…) une naissance, il n’existe aucune structure officielle pour les aider.

    • Encore faut il qu’il y ait des soins palliatifs ce qui n’est pas le cas pour 40% des français. Et il existe des structures pour aider celles qui, enceintes, ne se sentent pas d’assumer une grossesse seule (sos bébé d’Alliance vita, maisons Marthe et Marie….)

    • Oui, je suis d’accord avec vous, ça m’énerve au plus haut point, ce raccourci entre aide à mourir que le patient décide seul et euthanasie, qui n’est même pas envisagée.

  4. Coincidence troublante, et certainement pas souhaitée : hier soir 28 mai sur la chaîne Histoire, le premier sujet traité était la loi instituée par Hitler, pour enthanasier les déficients mentaux. Loi qu’il a dû retirer sous la pression notamment du courageux évêque de Munster. Elle est restée appliquée de façon clandestine par Himmler et consorts, mais ils ne sont pas allés jusqu’à poursuivre ceux qui s’opposaient à l’application de cette mesure. Avec le délit d’entrave institué dans le projet actuel, nous faisons passer le nazisme pour une réunion d’enfants de choeur. C’est le progrès. Honte à Falorni, Touraine et consorts, bien évidemment issus de la franc maçonnerie (même Alain Minc l’a dénoncé dans une tribune courageuse parue dans le Figaro magazine). Espérons que grâce notamment au Sénat, ce projet qui marquera la macronie comme un sommet de l’abjection sera suffisamment entravé pour s’enliser dans les méandres qui précéderont la prochaine présidentielle. Comment oser empêcher un pharmacien de prescrire un poion mortel à l’encontre de ses convictions ? La dictature gauchhiste est à nos portes.

    • Aktion T4 loi allemande de 1933…pout supprimer les inutiles…
      Nous savons tous où cette loi a amené l’Allemagne..
      ( écoutez Tourain, cela donne froid dans le dos.)
      l’Eugénisme…
      LES GENS SENSÉS N’EN VEULENT PAS …
      Je suis très étonnée qu’Alain Minc soit opposé à cette loi ?!?!?
      Il y a quelques années, il disait qu’il faut mourir  » à un âge raisonnable ».
      Évidemment, aujourd’hui il a probablement atteint cet âge et même plus
      alors il change d’avis…

  5. A quand une loi sur la fin de carrière de tous les politiciens qui ont mis la France en état de mort

  6. Je ne comprends toujours pas cette opposition farouche à la loi d’aide à mourir.
    Louis, avant hier, se désolait d’être passé dans la catégorie des « éligibles ».
    Mais éligible à quoi? A la mort? Mais qui donc n’y est pas éligible? Pourquoi craindre cette loi comme si elle devait seule décider d’interrompre la vie alors que la vie a pour but de s’interrompre seule.
    Personne ne va le forcer à interrompre sa vie, qu’il apprécie à sa juste valeur, et personne n’est à sa place pour la vivre.
    Il me semble qu’on bascule d’un côté ou de l’autre selon notre propre vision de la mort, ou notre peur devant la mort, ou notre capacité à l’envisager.
    J’envisage personnellement ma mort avec sérénité; après tout, je l’ai achetée avec ma vie. J’ai même payé et organisé mes obsèques à mon goût. Je ne suis pas suicidaire, je profite de ma vie à fond, mais je ne veux pas passer à côté de ma mort.
    J’aimerais partir dans les meilleures conditions, après avoir eu le temps de parler avec mes proches, de leur dire que je les aime, voire de faire un « pot de départ ».
    Quitte à partir, autant que ce soit propre.
    Les conditions de la naissance ont été améliorées grandement et sans que personne ne s’en émeuve. On déclenche l’accouchement si l’enfant ou la mère risque de souffrir, on pratique facilement des césariennes s’il y a souffrance foetale, la péridurale est devenue la règle, comme l’épisiotomie, et il est fréquent maintenant d’accoucher en piscine.
    Pourquoi ne pas accepter que l’autre passage, l’autre issue, soit entourée de mêmes précautions?
    Quitte à mourir d’une maladie dégénérative, en étouffant ou en étant endormi pour ne pas sentir qu’on étouffe, je préfèrerais mourir tant que je suis encore conscient, capable de parler à mes proches et de leur dire au revoir plutôt que techniqué de tous les côtés.
    Mon angoisse, cependant, c’est que cette loi n’aborde en aucune manière la maladie d’Alzheimer. Il reste à ces pauvres gens, atteints d’une maladie incurable mais n’étant plus lucides, même s’ils ont rédigé des directives anticipées, à boire jusqu’à la lie la dégradation de la dépendance sans pouvoir s’exprimer, la lente descente inexorable vers une mort qui leur échappe, , un départ où ils vont quitter leurs proches sans même les reconnaitre, un passage du stade de pantin au stade de cadavre, sans qu’ils aient été entendus, alors que quelques mois avant leur descente aux enfers, ils ont accroché des mains et des regards suppliants, au hasard, en disant « je veux partir ».
    Celui qui n’a pas vu ça n’a pas vu l’horreur absolue d’une condition humaine épouvantable. C’est la pire.
    Pourquoi ne pas avoir évoqué dans cette loi ce cas, que tout le monde garde dans le coin de sa tête avec une angoisse sourde.  » Je ne veux pas finir comme ça », mais personne ne pense à nous, les malades d’Alzheimer ou de dégénérescence des corps de Lewy. Cette loi est inique, mais pas pour ce que vous pensez tous sur ces commentaires….

    • Une mort propre ? La dégradation de la dépendance ? le stade de pantin ? La dignité humaine est immuable quelque soit l’état corporel, sale ou dégradé. Quel est notre regard ? Je comprends votre souffrance et votre commentaire dû à l’inhumanité du regard de notre société.

      • Allez visiter, je vous prie, un secteur protégé d’EHPAD. On reparlera de dignité ensuite. La notion de dignité est personnelle, intime, et personne n’a le droit de discuter celle des autres. Pour moi, non , finir dans un EHPAD avec une maladie d’Alzheimer, dépendant sans pouvoir rien demander par manque de mots, incontinent, grabataire, sans reconnaître les siens, sans pouvoir communiquer, sans intérêt pour quoi que ce soit, ce n’est plus de la dignité humaine. Non, la dignité humaine n’est pas immuable pour moi. On cherche vainement une manifestation de l’âme chez ces humains qui ressemblent, oui, plus à des pantins qu’à ceux qu’on a connus.
        Pour nos animaux domestique, quand ils restent cloués à leur couche, désespérés de perdre leurs matières sous eux, on a une solution plus humaine que pour ces patients humains.

    • Vous êtes trop optimiste…vous avez trop confiance en l’être humain..,vous refusez de voir la réalité de ce qui se trame derrière cette loi.
      La mort consentie par le patient doit être un murmure entre ce patient et son médecin…confiance et intimité..
      On peut en décider quand on est encore en bonne santé. Ri en ne vous empêche de prévoir ce » départ avancé ».(.pour le cas où )..avec votre médecin .
      Mais une loi c’est impensable..c’est une porte ouverte à tous les abus..

      •  » votre » médecin ! Vous vous croyez encore dans les années 50, avec le « médecin de famille  » pour ceux qui ne sont pas mutés tous les 2 ans ? Sachant que près d’un quart des gens, en province, n’ont pas accès à un médecin attitré..

      • Il est impossible, même en Suisse, de prévoir un départ « avancé » en cas d’Alzheimer, car il faut, là-bas aussi, une maladie fatale à moyenne ou brève échéance, et une pleine lucidité. Aucun médecin français n’acceptera un départ « avancé », même si j’ai mon diagnostic, car si je prends cette décision, c’est que j’aurai encore une certaine lucidité.

  7. Métro parisien : un type va se jeter sous le train, à l’ultime instant, je l’en empêche au risque de plonger avec lui. Les témoins témoignent, j’ai droit à la breloque au ruban rouge.
    Cela c’était hier; depuis le 27 mai, si le projet de loi va au bout, délit d’entrave, c’est l’amende et la prison : non-assistance à personne qui veut mourir.

  8. Je ne comprends pas qu’on montre du doigt notamment les députés RN qui ont voté pour. Il est heureux que les partis n’aient pas donné de consignes de vote sur ce sujet tellement intime.

  9. Après avoir sapé l’autorité parentale, vidé de leur substance le mariage, la différence des sexes, l’école, voici qu’on entame l’ultime pilier de notre civilisation : le respect de la vie. La vie jusque-là inviolable devient variable d’ajustement selon l’état d’âme du moment ou selon l’économie du moment.. Derrière les mots doux et les récits lacrymaux, cette loi entérine un renoncement : celui de la solidarité à l’égard des plus faibles, des malades, des vieux, des isolés, qui percevront bientôt leur mort comme un devoir citoyen pour ne pas peser sur la collectivité.
    Dans cette société de l’émotion et du confort, il ne faut plus souffrir, il ne faut plus dépendre, il ne faut plus vieillir. Il faut « maîtriser » sa fin, comme on planifie un projet personnel, la vente d’une vieille maison.
    Mais cette maîtrise n’est qu’une illusion. Elle cache un immense vide spirituel, un refus de la condition humaine, tragique et fragile, une haine larvée du réel que l’on retrouve chez nombre de nos « chefs ». Elle s’inscrit dans cette mécanique de déshumanisation douce qui, sous couvert de progrès, efface les frontières entre l’homme et la machine, comme ce projet transhumaniste glorifié par Macron et d’autres.
    À force de vouloir tout déconstruire, même la mort, notre société s’approche dangereusement du pire : l’indifférence. C’est ce moment où l’on ne voit plus dans l’autre qu’un poids économique, un agrégat de molécules, un destin personnel à optimiser ou interrompre, une statistique, façon Attali.
    La loi sur l’aide à mourir est une faillite, une capitulation morale, spirituelle. Un jalon de plus dans le lent suicide d’une civilisation qui ne croit plus ni en la vie, ni en l’homme, ni en Dieu, ni en son vrai destin.

    • Montvives.canalblog..
      Merci pour votre commentaire.
      Il n’y a rien à ajouter. MERCI.

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