[Une prof en France] De l’inutilité du latin
Il y a quelques jours, Le Figaro publiait un article posant cette question : le latin serait-il la solution pour remonter le niveau général de grammaire des élèves ? Et l'auteur de préconiser l'apprentissage obligatoire du latin pour tous les collégiens.
Malgré son côté séduisant, mi-élitiste, mi-passéiste, essayons de voir pourquoi cette idée n'est guère recevable.
L'article s'ouvre sur une citation. Une jeune femme « moderne » y défend le latin : « J’en ai bavé, de mes années en latin, mais j’en suis devenue une fervente défenseure », déclare Diane, jeune active de 27 ans, qui a choisi d’étudier le latin jusqu’au bac.
Si l'on met en relation la déclaration de la jeune femme et les objectifs affichés dans le titre de l'article, on ne manque pas de ressentir une certaine perplexité. Outre le niveau de langue volontairement jeuniste, alors même qu'aucun « jeune » ne parle vraiment comme cela, le mot « défenseure » est difficilement défendable. Je dirais même que l'une des raisons qui pourraient nous inciter à faire apprendre le latin à nos enfants serait justement de leur faire comprendre pourquoi on ne peut pas dire « défenseure », même si la société nous en laisse la licence aujourd'hui. Ce n'est pas le seul point sur lequel la société permet des choses qui ne devraient pas être autorisées…
L'auteur de l'article a visiblement travaillé à partir de fiches un peu succinctes et connaît mal son sujet. Elle évoque la défection des latinistes. « La raison ? Depuis la réforme du bac 2019, trop de matières ou de spécialités arrivent en concurrence avec l’option "langues et cultures de l’Antiquité". De plus, tous les établissements ne proposent pas cette spécialité. » Le système de l'Éducation nationale est complexe. C'est comme une société initiatique, dont les rites et le lexique sont là pour tenir les profanes à distance… Cette journaliste confond donc option et spécialité. Et quand elle dit que « tous les établissements ne proposent pas cette spécialité », c'est un euphémisme. Rares sont, en effet, les établissements qui permettent aux élèves de choisir la spécialité « langues et cultures de l'Antiquité », dotée de 4 heures d'enseignement en 1re et de 6 heures en terminale, et d'un coefficient 16 au bac. Seuls 535 élèves ont passé, en 2022, cette spécialité au baccalauréat, ce qui est à mettre en relation avec le nombre total de candidats : 729.400…
Mais il ne s'agit pas de cela, en réalité, il s'agit de la survie même de l'option latin, qui ne séduit plus aujourd'hui que 3 % des lycéens (contre 18 % jusqu'en 2016, malgré les multiples réformes ayant fragilisé les langues anciennes). Je n'entrerai pas dans les détails techniques. Disons que depuis la réforme Belkacem complétée par la réforme Blanquer, les latinistes ne travaillent que pour la gloire, sans quasiment aucune prise en compte de cet enseignement dans la moyenne du baccalauréat. Cela incite les proviseurs à rogner sur ces enseignements optionnels : peu de lycées octroient vraiment les 3 heures hebdomadaires allouées au latin. Dans le lycée dans lequel j'enseignais jusqu'à l'an dernier, nous avions 1 h 20 par semaine, réparties en 2 fois 40 minutes sur la pause déjeuner, avec autorisation donnée parfois aux élèves de déjeuner pendant le cours… Conditions idéales d'apprentissage. Comme nous sommes des magiciens, en deux séances de 40 minutes, nous faisons des merveilles…
Alors, quand j'entends parler d'avoir recours au latin pour sauver le français, je pouffe ou je soupire, selon le jour.
Le latin est un apprentissage inutile. Au sens premier du terme. Il est à considérer comme un art libéral, qui permet à l'homme de conquérir sa liberté par le développement de son intelligence, de sa capacité de réflexion, de son esprit critique et de sa culture. La culture, belle métaphore cicéronienne qui décrit le processus par lequel on ne laisse pas son esprit en friche, mais on l'entretient comme un champ que l'on veut rendre plus fertile. Le latin développe de grandes qualités : rigueur, souci du détail, capacités d'analyse et d'adaptation… Il n'est pas à mettre au service d'une utilité pratique immédiate. Et il ne peut que difficilement aider à acquérir les bases du français. Comment apprendre les déclinaisons à des élèves qui ne savent pas trouver le verbe dans une phrase et qui n'ont aucune idée des règles syntaxiques ? L'idée même est absurde. Cela ne fonctionnerait que si l'on décidait d'apprendre le latin à l'oral, en immersion, comme l'a fait Montaigne dans son jeune âge. Douce utopie… En réalité, pour apprendre le latin, il faut déjà avoir des bases de grammaire française. Et pour « remonter la grammaire » au lieu d'avoir recours à une autre langue, si proche soit-elle, pourquoi ne pas l'enseigner, tout simplement ? Ma grand-mère n'a pas eu à apprendre le latin pour avoir une syntaxe et une orthographe parfaites, bien qu'elle eût quitté l'école à 12 ans, après le certificat d'études.
Arrêtons de chercher une solution miracle à des problèmes que nous avons créés de toute pièce. Pour que les jeunes Français connaissent le français, apprenons-leur avant tout le français, de manière méthodique, rigoureuse et claire. Cessons de chercher des subterfuges et affrontons le problème central : l'organisation de l'école primaire et du début du collège.
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55 commentaires
Soyons fous et imaginons un rappeur s’exprimant en latin lors du prochain concours de l’Eurovision.
Avons nous zappé la vague migratoire ? Pourquoi enseigner le latin à des élèves qui peinent avec le français car ils parlent arabe ou turc à la maison ? Il semblerait que nous ayons en France, plus d’échanges en bambara, wolof, lingala et malgache qu’en latin et en grec. Alors qu’ils apprennent le français, un vigile ce n’est pas un « chouf ».
Excellent article, comme de coutume !
Un point de vue divergent néanmoins de la part du professeur de Lettres Classiques que je suis : en effet, en enseignant très particulièrement le latin à l’oral et à l’écrit, on apprend ordinairement aux élèves les rudiments de la grammaire (et bien plus) avant même qu’ils ne les apprennent (s’ils les apprennent) en cours de français. Cela a toujours été mon cas, et mes élèves ont toujours été ravis de leur avance dans ce domaine. J’enseigne le latin (et j’espère bientôt le grec) essentiellement oralement, selon les méthodes de toujours qui ont plus que fait leurs preuves bien avant que les sciences linguistiques ne viennent en expliquer les ressorts, et les résultats n’ont strictement rien à voir avec ceux que l’on obtient avec les méthodes dites à tort classiques. Reste qu’il est actuellement extrêmement difficile de maintenir un enseignement cohérent dans un monde scolaire que l’on veut à tout prix transformer en garderie.
Autre point : ce ne sont pas les élèves qui font défaut, mais la hiérarchie qui fait obstruction en refusant de mille manières à nombre d’entre eux l’accès à ces cours, contrairement à la loi française qui exige l’égalité d’accès pour tous les élèves ! Cela fait 20 ans que j’assiste d’année en année à la casse volontaire des Lettres Classiques par nos gouvernements, à la suite des programmes d’Histoire – sans doute parce que les deux représentent les matières intellectuellement les plus structurantes.
P.S. Quant à l’inutilité du latin, j’ai toujours commencé mes tournées de classes de 6ème par l’affirmation provocante de « Le latin, ça ne sert à RIEN ! »… au même titre que l’art, la beauté, la philosophie, cette science de la recherche de la sagesse, en poursuivant par l’explication de ce que ces « futilités » sont pourtant les fondements de notre civilisation.
A ceux qui établissent l’acte de décès du latin dans notre enseignement – ne parlons pas du grec ancien – en arguant du fait qu’il est devenu totalement inutile, je voudrais d’abord rendre justice: on voit mal à quoi » sert » le latin dans le cours de notre vie, hormis quelques cas particuliers.
Mais c’est sur ce verbe servir qu’il convient de les reprendre. Un simple exemple: pour se déplacer, aujourd’hui, nulle difficulté: les moyens de le faire, à pleine vitesse ou non, sont légion: comment expliquer que, pourtant, certains, de plus en plus nombreux, en soient encore à recourir au vélo – sans moteur électrique- à la marche, à l’effort chronophage, quand ils pourraient économiser leur temps, leur fatigue, leur courage?
Simplement parce que notre corps a besoin d’exercice. C’est à dire qu’il ne se contente pas de servir, mais qu’il réclame en retour qu’on le serve à son tour, en lui rendant sinon un culte, du moins l’hommage qu’on doit à ce qui nous permet d’être.
Cela s’appelle la culture. En l’occurrence, la culture physique.
Eh bien le latin, le grec, ne subsistent plus pour servir. Mais pour développer, de façon gratuite en apparence, les ressorts mêmes de la pensée, qui se rouillent, comme les muscles, à force d’être négligés, oubliés, condamnés à ne plus fonctionner dès lors qu’on voit que la majorité s’en passe.
Le latin et le grec n’apprendront pas la grammaire. Ils rendront la vie à ce qui meurt sous nos yeux: la langue, victime de l’inertie de notre esprit.
Le latin n’est pas ma tasse de thé, mais cela forme l’esprit, cela élargit le vocabulaire en français, cela allège l’apprentissage des langue latine … et anglo-saxone. Maintenant, vu le niveau scolaire à l’entrée en 6e, la marche est trop haute. A mettre des étrangers, anti-français, comme ministre de l’éducation nationale (et de la culture) on ne peut que déplorer le désastre.
Et pour le grec ancien ?
Depuis plusieurs décennies on évoque le drame que constitue le pourcentage de jeunes entrant au collège sans maîtriser ni le français ni les mathématiques et qu’ont fait nos gouvernants pendant ce temps : des réforme et encore des réformes bricolées par des pédagogues plus imbus de leur convictions que de l’intérêt des enfants. Aujourd’hui perdus au collège, on les retrouve souvent soit en CAP soit en bac pro, alors le contribuable va rémunérer leurs stages… ça s’appelle un beau fiasco couronné par une mesure délirante. Le quoi qu’il en coûte nous a coûté mais on n’a pas fini de payer les intérêts de ces mesures sparadrap.
« Pour que les jeunes Français connaissent le français, apprenons-leur avant tout le français, de manière méthodique, rigoureuse et claire. Cessons de chercher des subterfuges et affrontons le problème central : l’organisation de l’école primaire et du début du collège. »
Je partage à 100% la conclusion de l ‘auteur madame Fontcalel.
Merci.
Tout à fait d’accord. Il faut enseigner le français mais aussi le réformer pour le rendre plus logique
tant au niveau de la grammaire que de la coïncidence de l’orthographe et et de la prononciation. C’était la mission de l’académie française initialement. Le français est loin d’être une langue logique et souple. Je suis professeur de FLE, anglais, espagnol epartle aussi allemand et italien puis j’ai étudié le japonais et chinois. Quelques notions du latin de base pourraient être enseignées comme initiation à l’origine de notre langue. Si l’on veut initier à la maîtrise de la grammaire française, il faut revenir aux noms classiques et arrêter le charabia des linguistes moderneux et utiliser une langue étrangère russe ou allemand dans le secondaire après avoir renforcé aussi l’anglais, non par gout personnel mais par réalisme. A contrario il faudrait revenir l’usage exclusif français dans les pubs et magasins.
A lire les commentaires, il me semble que de nombreux lecteurs n’ont pas perçu l’ironie désabusée de l’article, et particulièrement du titre. Ce professeur semble être Lettres Classiques et enseigner le latin. L’article le défend d’ailleurs, mais pas comme enseignement obligatoire pour tous les élèves. Si je lis bien, la notion d’utilité est prise dans un sens économique et philosophique : le latin sert à apporter les qualités énoncées dans l’article, mais il ne sert plus à rien pour obtenir le bac, et il ne peut pas à lui seul colmater les brèches de l’instruction de masse pour une large part d’élèves à moitié analphabètes. C’est ça que critique l’article : l’idée de le rendre obligatoire et de ne plus l’enseigner pour lui même mais juste pour qu’il serve de béquille à l’enseignement du français. Il n’est jamais dit dans l’article que le latin n’est pas un enseignement essentiel pour un certain nombre d’élèves. On fait un mauvais procès d’intention à ce professeur… Et il faut donc percevoir l’ironie du titre.
Entièrement d’accord avec vous !
Raisonnement absurde ! On pourrait aussi dire « à quoi sert d’apprendre le français, quand on ne sait même pas lire ! »
L’école élémentaire doit enseigner les savoirs élémentaires ! L’apprentissage du français fait, évidemment, partie des savoirs élémentaires ! Bien sûr, si le français n’est pas maîtrisé, il est difficile de maîtriser autre chose que les jeux sur console ou les vidéos pornographiques (bien sûr, j’exagère un peu …) ! Pourquoi était-il possible, aux temps jadis d’enseigner la lecture, l’écriture (avec des « pleins » et des « déliés », s’il-vous-plaît) , le français, l’arithmétique et l’histoire à l’école primaire dans des classes de 50 élèves et est-ce maintenant impossible (malgré toutes les recherches pédagogiques) et avec tous les moyens mis à disposition par les techniques « modernes » dans des classes d’une vingtaine d’élèves ? Voilà une question, qu’elle est intéressante (sic) !
47 ans en milieu médical humain et vétérinaire , il n’y a pas photo entre ceux qui ont eu la chance de faire grec et latin ,( diagnostics ,évolution ,interventions ,………….) La raison paraît simple et pourtant tellement réelle . Le latin permet des raisonnements plus logiques , le grec permet des raisonnement plus scientifiques ,l’un et l’autre donnant la justesse et l’exactitude des mots et donc la plus proche réalité de la situation .