Imam Chalghoumi : « L’islamisme, c’est la maladie de l’islam »

chalghoumi

Boulevard Voltaire a cherché à comprendre pourquoi la formation de prévention de la radicalisation, initialement organisée par la Sorbonne, a été annulée à la suite de l'attentat de la préfecture de police de Paris.
Entretien exclusif avec le président de l'Association cultuelle des musulmans de Drancy (Seine-Saint-Denis), l'imam Chalghoumi, qui regrette que l'université ait cédé à la « la pression d'une minorité ».

Au mois de novembre, un cycle de formation sur la radicalisation, intitulé « Prévention de la radicalisation : compréhension d’un phénomène et détection des signaux faibles », devait avoir lieu à la Sorbonne. Il a été annulé car il risquait de participer à la stigmatisation des musulmans. Comment avez-vous accueilli cela ?

C’est honteux de céder face à la pression d’une minorité, surtout dans une université. Qu’il s’agisse de l’extrême gauche, de gauchistes ou d’autres... Nous, musulmans, n’avons pas peur de dire que l’islam et l’islamisme n’ont rien en commun. L’islamisme, c’est la maladie de l’islam. Évidemment, chacun en a une vision différente, mais la vision de la majorité, c’est celle d’un islam soufi, spirituel, quotidien, traditionnel, d’une pratique individuelle entre la personne et son seigneur, comme un chrétien ou un juif. Il n’y a rien à voir avec l’islam politique. Et quand on parle de cela, quand on essaye de débattre sur les facteurs de radicalisation, sur la haine, la récupération de ces jeunes, le lavage de cerveau, tout cela, je trouve que c’est notre combat. On est obligé de le faire et on le fait. Et ce ne sont ni les minorités ni les intellectuels qui nous en empêcheront.

À chaque fois qu’on évoque l’islamisme, le gouvernement et les médias ont tendance à s’autocensurer, décrédibilisant le pouvoir et réinterprétant totalement le principe de la laïcité. Est-ce qu’au sein de vos prêches, vous abordez ce sujet, vous sensibilisez les musulmans à ce phénomène ? Quelles sont les réactions ?

Que certains politiques évitent d’être interrogés sur ces sujets pour éviter l’amalgame, je peux comprendre. En ce qui nous concerne, nous réagissons beaucoup sur les réseaux sociaux. J’ai organisé un rassemblement devant la préfecture de police pour dénoncer et condamner cette minorité qui prend en otage l’islam et les musulmans. Je parle de la masse et non de la minorité qui bascule vers l’extrême. Cette sensibilisation passe aussi par nos prêches, par notre réseau familial, par nos réunions avec les imams et les fidèles… c’est-à-dire, dans notre propre milieu.

Plusieurs imams ont été arrêtés, ces dernières années, perpétrant des enseignements salafistes… Que faut-il faire pour éviter cette radicalisation ? À quoi est-elle due ?

Le phénomène de la radicalisation est un phénomène international et la France se place au premier rang de l’Union européenne, puisqu’elle regroupe un nombre important de confessions musulmanes. Il y a plus de 9.000 fichés S. Je ne doute pas que M. Castaner et M. Nuñez fassent le maximum pour éviter cela, mais le phénomène n’est pas facile. Nous, les musulmans, nous sommes une partie du problème mais nous sommes aussi une partie de la solution. Le problème doit se régler aussi bien en interne qu’en externe, sur Internet notamment, où l’on trouve plus de 46.000 tweets par jour et 2.300 sites francophones liés à la radicalisation, que la jeunesse fréquente plus que les mosquées. C’est ce qui a provoqué le départ de 2.000 jeunes en Irak. Il y aussi le problème des écoles privées dont on ne contrôle pas le programme qui représentent un danger considérable. L’État parle de la formation des imams, mais on ne peut pas la confier au Conseil français du culte musulman, à la mosquée de Paris ou au Rassemblement des musulmans. Il faut que ce soit une référence théologique française sous le contrôle de l’État français, avec une structure reconnue pour que les imams aient des statuts et une charte à signer par rapport aux lois de la République. Il faut, enfin, toucher les parents, leur donner une structure pour qu’ils puissent suivre ce phénomène de radicalisation. Il faut que chaque département, que chaque préfecture, que chaque mairie travaille sur ce phénomène. Ce qu’a proposé le ministère de l’Intérieur n’est pas suffisant. Lorsque, chaque année, plus de 20.000 musulmans français partent en pèlerinage à La Mecque, ils ont besoin d’un encadrement, de formateurs pour éviter de tomber dans le wahhabisme salafiste. Lorsqu’ils reviennent après avoir été formatés pendant plusieurs jours, c’est déjà trop tard.

Lorsque Daech et les extrêmes envoient un homme tirer sur une mosquée, sur des fidèles, sur des personnes âgées, ils cherchent à nous diviser. Il n’y a pas de fumée sans feu. Je pense que la communauté française de confession musulmane doit alors sortir et tout faire pour dénoncer cela. On ne peut pas faire d’amalgame et mettre tout le monde dans le même sac. Même sur la question du voile ! Combien de femmes le portent par rapport à 6, 8 ou 10 millions de musulmanes ? C’est très peu !

Nous sommes tous victimes et responsables de ce phénomène. Mais ensemble, avec les politiques et la société civile, nous devons imposer cette vision de l’islam de lumière, humaniste, ce qui prendra du temps mais qui, j’en suis certain, portera du fruit.

Entretien réalisé par Maud Protat-Koffler

Cet article a été mis à jour pour la dernière fois le 30/10/2019 à 23:20.

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