Cinéma : Le Dernier Duel, de Ridley Scott, ou le Moyen Âge façon « MeToo »

le dernier duel

Nous évoquions, cet été, Les Duellistes, le premier long-métrage de Ridley Scott, sorti en 1977. Comme en écho à celui-ci, Le Dernier Duel, actuellement en salles, reprend la thématique de l’honneur bafoué et de la résolution du conflit par les armes. Pour autant, ce dernier film de Ridley Scott semble également incorporer des éléments de Gladiator – la mise en spectacle du combat – et de Kingdom of Heaven - pour l’imagerie médiévale.

Inspiré d’un fait réel, tout comme l’était Les Duellistes, le film relate l’un des derniers duels judiciaires du Moyen Âge tardif, sous Charles VI, entre Jean de Carrouges (Matt Damon) et Jacques Legris (Adam Driver). Nous sommes alors en pleine guerre de Cent Ans, en 1386 précisément. Seize ans plus tôt, Carrouges et Legris avaient combattu côte à côte les Anglais du Prince noir lors du sac de la ville de Limoges. Depuis, leur amitié n’a cessé de se détériorer. Hormis le favoritisme évident dont bénéficie Legris auprès du comte Pierre d’Alençon (Ben Affleck) dont il est écuyer, à une époque où Carrouges tombe peu à peu en disgrâce pour la mauvaise gestion de ses finances et ses échecs militaires, trois événements majeurs vont mettre aux prises les deux hommes : d’abord la confiscation des terres d’Aunou-le-Faucon, au bénéfice de Jacques Legris, initialement promises en dot à Jean de Carrouges lorsqu’il épousa Marguerite de Thibouville (Jodie Comer) ; puis l’attribution de la forteresse de Bellême à Legris, laquelle devait revenir à son vieil ami. Enfin, bien sûr, le viol de la Dame de Carrouges dont se serait rendu coupable l’écuyer du comte d’Alençon.

Décidé à défendre son honneur personnel, davantage sans doute que celui de son épouse, Jean de Carrouges passe au-dessus du comte et en appelle directement au Parlement de Paris et à Charles VI afin d’obtenir une ordalie bilatérale, un duel à mort dont le vainqueur apparaîtra comme le détenteur de la vérité désigné par Dieu…

Construit sur un mode ternaire des plus classiques, le scénario présente l’originalité de proposer le même récit étalé sur plusieurs années et sous trois angles différents, ceux de chaque protagoniste : « La vérité selon Jean de Carrouges », « La vérité selon Jacques Legris », et « la vérité selon Marguerite de Carrouges ». De quoi nous rappeler, évidemment, le Rashōmon de Kurosawa qui, en son temps, avait ouvert le cinéma à la question de la subjectivité. L’intérêt de la chose se situant précisément dans les nuances – parfois infimes mais fondamentales – d’une version à l’autre, lesquelles se jouent parfois à un regard ou à une intonation. Un procédé stimulant intellectuellement pour le spectateur, qui nous éclaire en particulier sur les différences de perception des deux hommes et sur leurs aveuglements respectifs.

La troisième partie, « La vérité selon Marguerite », est de loin la plus faible dans la mesure où un intertitre nous la présente d’emblée comme « LA vérité », comme si la femme était par évidence une victime et comme si sa parole ne saurait être mise en question. Un parti pris naïf et idéologique de la part de Ridley Scott qui refuse de voir que même l’affaire Weinstein, dont ce film est en partie héritier, a eu son lot de faux témoignages, certaines accusatrices ayant été déboutées par la Justice.

Ce crédit accordé d’emblée à la troisième version annihile de facto la possibilité même, pour Marguerite, d’avoir mal interprété un regard ou un propos toutes ces années durant. Par cette naïveté scénaristique, Marguerite devient la raison incarnée à qui rien n’a échappé depuis le début, ce qui paraît illusoire pour ne pas dire irréaliste.

Pire : cet intertitre présentant « La vérité selon Marguerite » comme « LA vérité » ferme la porte à une quatrième interprétation qui eût été celle d’un spectateur libre pour qui la femme avait objectivement au moins deux raisons, sinon de mentir aux autres, au moins de se mentir à elle-même : récupérer Aunou-le-Faucon en faisant tuer son propriétaire actuel et, surtout, engendrer un fils, puisqu’elle n’y est jamais parvenue avec Jean de Carrouges.

À limiter sciemment les possibilités de son scénario pour raisons idéologiques, Ridley Scott se tire une balle dans le pied. C’est dommage.

3 étoiles sur 5

Pierre Marcellesi
Pierre Marcellesi
Chroniqueur cinéma à BV, diplômé de l'Ecole supérieure de réalisation audiovisuelle (ESRA) et maîtrise de cinéma à l'Université de Paris Nanterre

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