La polémique sur la pertinence d’employer des soldats de l’opération Sentinelle pour remplacer les forces de police dans leur mission de protection des bâtiments officiels révèle peut-être le peu de considération qu’ont finalement nos gouvernants pour les militaires, malgré les déclarations d’amour occasionnelles et mémorielles. En effet, RTL révélait, vendredi matin, que le général Lecointre, chef d’état-major des armées (CEMA), n’avait pas été prévenu de la décision gouvernementale et que, lors du conseil restreint de défense qui s’était tenu mercredi matin, cette décision n’avait pas été évoquée.

Rappelons que le CEMA, sous l’autorité du président de la République et du gouvernement, est responsable de l’emploi des forces et assure le commandement des opérations militaires (dont Sentinelle). Il est, en outre, le conseiller militaire du gouvernement. Si l’information de RTL est vraie (en tout cas, elle n’a pas été démentie), il est évident que les attributions du CEMA ont été quelque peu malmenées. Il est vrai que le Président Macron ne prend pas de gants avec la haute hiérarchie militaire ! On ne rappellera pas, ici, l’épisode Villiers, mais on pourrait évoquer la rétrogradation, en septembre 2017, du chef d’état-major particulier du Président dans l’ordre protocolaire. Traditionnellement placé en deuxième place derrière le secrétaire général de l’Elysée, cet officier général de haut rang avait été relégué en troisième place au profit du directeur de cabinet du chef de l’État, en l’occurrence Patrick Strzoda, qui depuis a fait parler de lui avec l’affaire Benalla. Une première alors que le « dircab » de la présidence était placé en huitième place sous Sarkozy et sixième sous Hollande. Certes, depuis toujours dans la République, l’épée l’a cédé à la toge, mais à ce point…

Mais l’on pourrait trouver trace de ce peu de considération de la toge pour l’épée dans notre pays par l’absence totale de militaires dans le gouvernement de la France. Le dernier militaire de carrière à avoir été ministre, ce fut le général Marcel Bigeard. Général de corps d'armée et commandant la IVe région militaire de Bordeaux, il avait été appelé par Giscard d'Estaing au poste de secrétaire d’État à la Défense nationale, qu'il occupa de février 1975 à août 1976. Et avant, sauf erreur de ma part, il faut remonter sous la IVe République avec les généraux Billotte et Kœnig, qui furent appelés au portefeuille de la Défense. Il y a soixante-cinq ans.

Curieusement, le gouvernement actuel de la France est probablement l’un des gouvernements les plus technocratiques que notre pays ait connus depuis des décennies. Fin de la politique. Avènement de la compétence. Ainsi, au Travail, Mme Pénicaud, ancienne directrice générale des ressources humaines du groupe Danone. À la Santé, Mme Buzyn, docteur en médecine et surtout ancienne présidente de plusieurs instances de la "galaxie santé", comme par exemple la Haute Autorité de santé. À l’Éducation nationale, évidemment, Jean-Michel Blanquer, ancien recteur d’académie, ancien directeur de l’ESSEC. À l’Intérieur, pour épauler Christophe Castaner, Laurent Nuñez, ancien préfet de police, ancien directeur général de la Sécurité intérieure. Et aux Armées, Florence Parly, ancienne directrice générale… de la branche Voyageurs de la SNCF.

La logique « professionnelle », technocratique du macronisme n'aurait-elle pas voulu que soit appelé à la Défense un officier général, en activité ou en deuxième section ? Mais il se peut que le nouveau monde ait hérité des fantasmes et autres délires de l’ancien sur les bruits de bottes et autres tentations putschistes. Et pourtant, s’il est une institution dont la loyauté ne peut être remise en cause – d’aucuns la qualifieront d’excessive -, c’est bien l’institution militaire. Il est vrai, aussi, que nos généraux n’ont pas fait l’ENA. Les armées sont-elles la cinquième roue du char de l’État ?

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23 mars 2019 à 17:29

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