À la suite de la tuerie de Christchurch, Le Monde, dans sa rubrique « Les Décodeurs », publiait, il y a cinq jours, un article intitulé "La théorie du “grand remplacement”, de l’écrivain Renaud Camus aux attentats en Nouvelle-Zélande". Dans la série « c’est la faute à »...

Inséré dans cet article, un cartouche « Éclairage » vise à démontrer, chiffres à l’appui, qu’il n’y a pas de remplacement démographique dans notre pays car "les chiffres contredisent l’essentiel de la thèse [du Grand Remplacement]". En effet, nous explique Le Monde, "même en comptant très largement les migrants et descendants de migrants non européens, on peine à parvenir à 5 % de la population française. On est donc très loin d’un “remplacement”." Remarque : tout dépend d'où on part, la notion de remplacement impliquant une évolution dans le temps. Mais pour étayer la démonstration, Le Monde nous renvoie à l’un de ses articles publié en 2014, intitulé "Le fantasme du “grand remplacement” démographique" dans lequel force chiffres, tirés des statistiques de l’INSEE de 2012, nous sont donnés. "Si on élargit la notion d’immigré et que l’on prend en compte l’ensemble des descendants de ces migrants – bien qu’ils soient nés en France -, on trouve 6,7 millions. Parmi eux, 3,1 millions descendent de migrants venus du Maghreb francophone, d’Afrique et d’Asie – soit moins de 5 % de la population française." Donc, CQFD…

En réalité.

Selon les chiffres de l’INSEE, publiés en 2018, 6 millions d’immigrés vivaient en France en 2014, soit 9,1 % de la population totale. Parmi ces 6 millions d’immigrés, 2,6 millions (soit 43,8 %) provenaient d’Afrique et représentaient, à eux seuls, 3,9 % de la population française. Précisons qu’un immigré, selon la définition qu’en donne l’INSEE, est une personne née à l’étranger, vivant en France, qu’elle ait obtenu ou pas la nationalité française. Maintenant, concernant les descendants d’immigrés (au moins un parent d’immigré), un rapport déjà ancien de l’INSEE, publié en 2010, comptabilisait, en 2008, 3,1 millions de personnes âgées de 18 à 50 ans. 40 % provenaient d’Afrique, soit 1,24 million de personnes. Sept ans plus tard, en 2015, toujours selon l'INSEE, on était passé à 7,3 millions de descendants d’immigrés en France, dont 42 % issus d’Afrique, soit plus de 3 millions de personnes.

Ainsi, pour les années 2014-2015, si on prend les chiffres d’immigrés d’origine africaine vivant en France, qu’on les ajoute aux chiffres des descendants d’immigrés, on compterait donc au minimum 5,6 millions de personnes vivant en France ayant des origines africaines, soit 8,4 % de la population (la France comptait 66,42 millions d’habitants en 2015). En 2019, qu’en est-il ?

L’INSEE, par ailleurs, apporte quelques précisions intéressantes dans son rapport de 2018 : "Après une stabilisation dans les années 1990, la population des immigrés augmente à nouveau depuis 1999. Jusqu’au milieu des années 1970, les flux d’immigration étaient majoritairement masculins, comblant les besoins de main-d’œuvre nés de la reconstruction d’après-guerre, puis de la période des Trente Glorieuses. Depuis, la part des femmes est croissante, qu’il s’agisse de regroupement familial ou non." Ceci explique cela, tout du moins en partie...

Entre le "moins de 5 %" annoncé par Le Monde et une estimation, pour 2015, de 8,4 %, il y a donc une marge. Qu'en sera-t-il, du reste, dans sept ans ? Grand, moyen, petit – tout est question d’appréciation -, cela s’appelle un remplacement. Ce n’est pas une idée, un jugement de valeur. C’est un fait.

Cinq jours après la publication de ce pourcentage de 5 %, Le Monde n'a toujours pas corrigé. Il est vrai que si le Grand Remplacement est un fantasme, le non-Grand Remplacement peut en être un autre aussi.

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21 mars 2019 à 17:51

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