Contrairement à son prédécesseur Khrouchtchev qui avait, en octobre 1960, tapé sur son pupitre avec sa chaussure lors de l'Assemblée générale de l'ONU, Poutine est madré comme le lynx de l'Altaï : il avance à pas comptés, sans bruit, et bondit comme l'éclair sur sa proie, mais seulement quand il est certain de l'attraper. "Dans cette situation des choses, où tant de passions fermentent et où tant de gens s'agitent en tout sens, l'impétuosité et l'indolence sont deux écueils qu'il me paraît également nécessaire d'éviter. Je tâche donc de me renfermer dans une dignité calme qui seule me semble convenir ...", a dit Talleyrand lors du Congrès de Vienne. C'est à croire que Poutine a médité cette formule. Certains m'objecteront - et ils n'auront pas tort - que plus un homme a en face de lui des imbéciles, plus son intelligence en est décuplée.
Quand il a prononcé son discours à l'Assemblée générale des Nations unies cette semaine, Poutine savait très bien qu'Obama et Hollande refuseraient l'alliance qu'il proposait. Il savait très bien qu'ils ne bougeraient pas d'un iota concernant Bachar el-Assad. Un démocrate ne va tout de même pas soutenir un tyran sanguinaire ! On a des principes, et quand on a des principes, on s'y tient tant que l'orage n'a pas éclaté. Alors aujourd'hui, Obama et Hollande boudent dans leur coin. C'est justement ce que Poutine attendait : "Vous ne voulez pas régler le problème avec moi, alors je vais le régler tout seul et selon ma conception, cela me permettra de régler le compte des rebelles et d'éclaircir la situation, il y a trop d'acteurs dans cet espace étroit". Enfin, tout seul ... pas si sûr que cela. Il est logique, en effet, de penser que dans les semaines à venir, peut-être même avant, il va lancer ses soldats sur le terrain ; et il y a fort à parier qu'il sera aidé par les Iraniens qu'il a défendus avec malice lors des négociations sur le nucléaire et qui ne demandent qu'à lui renvoyer la balle. Et que se passera t-il alors ? On peut imaginer que, d'ici peu, les deux grands nigauds d'Obama et de Hollande se précipiteront à ses pieds pour lui proposer leur aide, effrayés de voir perdre leur influence (mais qu'est-elle vraiment aujourd'hui ?). Poutine, grand seigneur, acceptera mais il restera le vainqueur et je suis prêt à parier qu'il obtiendra même que Bachar el-Assad se retire sur la pointe des pieds. De son côté, l'Iran aura pris sa revanche, et quelle revanche, sur toutes ces années de dénigrement qu'il aura supportées de la part des Occidentaux. La seule satisfaction que ces derniers retireront de ce qui aura été pour eux une défaite est que Poutine aura fait le travail à leur place mais... s'emparant pour longtemps de l'influence qu'ils auront perdue.
Au Congrès de Vienne, Talleyrand avait, par son intelligence, sorti la France de son isolement et fait oublier à toute l'Europe qu'elle avait été la grande vaincue. La Syrie, en ce moment, est le Congrès de Vienne de Vladimir Poutine : elle lui permet de sortir la Russie de toutes les années de moqueries et de mépris qu'elle a subies de la part des Occidentaux, et d'affirmer qu'elle est désormais la première puissance diplomatique au monde. Dans quelques semaines, Poutine pourra faire sienne la phrase suivante de Talleyrand : "Je veux que pendant des siècles, on continue à discuter sur ce que j'ai été, ce que j'ai pensé, ce que j'ai voulu."
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