
Tous les 11 novembre, je regarde une vieille photo un peu jaunie de mon grand-père en uniforme de garde du Kaiser à Berlin, triste « privilège » que lui avaient valu sa grande taille et… l’abandon, après 1871, de l’Alsace-Moselle à l’Allemagne. Comme mon grand-père, ils furent 380.000 Alsaciens-Mosellans obligés de revêtir la tenue feldgrau entre 1914 et 1918. Comme mon grand-père, ils furent plusieurs milliers à tomber dans les tranchées, soldats oubliés de la Grande Guerre, sans qu’aucune cérémonie particulière ni discours patriotique, en cette année du centenaire, n’en mentionnent le moindre souvenir.
Le mouvement Unser Land (Notre Pays) a voulu rappeler leur mémoire en déposant le 10 novembre, avant les cérémonies officielles, une gerbe rouge et blanche aux couleurs de l’Alsace devant le monument aux morts de Strasbourg. Il est vrai que la symbolique de l’endroit s’y prête à merveille : le monument de Strasbourg porte comme seule inscription « À nos morts » sans préciser la patrie pour laquelle les soldats sont tombés. L’œuvre du sculpteur Léon-Ernest Drivier représente une mère (symbolisant la ville de Strasbourg) avec, sur ses genoux, ses deux enfants mourants, l’un allemand et l’autre français, tombés sous les plis de leurs deux drapeaux, mais dont les mains se cherchent pour s’unir.
Le monument aux morts de Metz s’inscrit dans la même symbolique : le combattant aux pieds de la pièta y est nu, et sans uniforme. L’inscription, comme celle de la plupart des cénotaphes mosellans, renvoie aux « morts victimes de la guerre » et non, comme ailleurs, aux « morts pour la France ». On y évite généralement le terme de patrie, pour ne pas relancer les controverses de l’histoire souvent passionnelle de l’Alsace-Moselle. Son abandon par la France en 1871, comme en 1940, avait tout de même été consenti par signature ou par silence. « On ne peut pas reprendre un peuple comme on va chercher sa montre au mont-de-piété », écrivait, en 1946, l’alsacien Jean Schlumberger dans « L’Alsace perdue et retrouvée ».
Le 11 novembre, on le voit, n’est pas vécu exactement de la même manière des deux côtés des Vosges. Et « l’exception mémorielle » revendiquée ce 10 novembre par Unser Land à Strasbourg me fait penser à ces myosotis appelés « Ne m’oubliez pas », que cultivait Brassens dans son jardin : « Un petit forget me not, pour mon oncle Martin/Un petit vergiss mein nicht pour mon oncle Gaston/Pauvre ami des Tommies, pauvre ami des Teutons. »
13 novembre 2014